Viva la revolucion!

Toujours à l’affût, Eric ABC a déniché un article dans Le Figaro (du 06/05/04) titré « La démocratie déçoit les Latino-Américains ». On les comprend, mais je ne donnerai pas les mêmes explications que la journaliste du Figaro.

à l’euphorie des années 80 a succédé l’amertume. Le dernier quart de siècle a surtout rimé, pour le sous-continent, avec une paupérisation de la population, un accroissement de la violence et des inégalités.

Petit rappel pour les nuls en histoire: les années 80 marquent la fin d’un tas de dictatures: celle de Pinochet, les généraux en Argentine, au Brésil… la « realpolitik » américaine de l’époque, face à la menace soviétique, voulait que « c’est un salaud, mais c’est mon salaud ». Imaginez l’espoir pour tous ces gens, ballottés de dictature en dictature, pseudo-socialiste, autoritaire, toujours étatiste, militaire ou paramilitaire, instable, bref des régimes invivables. La démocratie ne pouvait qu’être mieux. Espoirs déçus.

Une dégradation du niveau de vie aux conséquences dramatiques : [selon le PNUD] près de 55% des Latino-Américains accepteraient le retour à un régime autoritaire pour peu qu’il améliore leur situation économique

La foi en la démocratie baisse! Quel drame! Voir son niveau de vie baisser est dramatique. Les conséquences d’une baisse de niveau de vie sont multiples: baisse de l’investissement dans les études, émigration des talents (ils se ruent aux USA), moins de dépenses de santé… Les bidonvilles, la drogue, la violence, la prostitution généralisée, y compris des enfants: il est là le drame!
Que les Latino-Américains soient nombreux à se dire prêts à accepter une dictature pourvu qu’elle améliore leur vie, ne m’étonne guère…

La pauvreté concerne 225 millions de Latino-Américains (44% de la population), et on compte quelque 100 millions d’indigents. Les 10% les plus riches de la région ont un revenu 30 fois supérieur aux 10% les plus pauvres. La Banque mondiale calcule que les neuf pays les plus inégalitaires au monde sont latino-américains

Il y avait combien de pauvres en 75 ? Le revenu d’un pauvre d’alors était de combien ? de combien est-il aujourd’hui ? Ces statistiques montrent une situation bien sombre, mais ne permettent pas d’établir de comparaisons par rapport aux périodes antérieures.
Combiné tout cela avec la corruption, les trucages d’élections, le lobbying intensif, le cloisonnement social, accompagné de racisme, quelle crédibilité reste-t-il aux gouvernements ?

Malheureusement si le constat est clair les explications données à ce désastre sont très convenues:

En filigrane, c’est la démission progressive de l’État, au profit de marchés financiers peu régulés, qui est dénoncée. L’Amérique latine est, dès la fin des années 80, le terrain privilégié des expériences néolibérales imposées par le FMI et la Banque mondiale.

FMI ? FMI: aveu d’échec. Le FMI, comme la Banque Mondiale sont des machines à faire faillite aux pays qui profitent de leurs largesses: ils prêtent, l’Etat local empoche, « privatise » aux mains de proches du pouvoir, dilapide l’argent, achète une paix sociale temporaire, et quand ensuite le système s’écroule retourne voir le FMI pour en demander plus. Le FMI cède alors devant quelques vagues promesses jamais tenues, et le cycle recommence. Les perdants: les contribuables occidentaux, les populations d’Amérique du Sud. Exemple typique: l’Argentine. Les banques privées occidentales sont couvertes par leurs gouvernements, à votre détriment, elles n’ont donc aucun problème.

la baisse des barrières douanières, les privatisations, la libéralisation des services publics (eau, gaz, électricité, téléphone) ont favorisé l’arrivée de capitaux étrangers. Pour la majorité de la population, ces métamorphoses ont provoqué une désindustrialisation du tissu urbain, une hausse du chômage et de l’inflation.

C’est marrant comme les mêmes politiques s’accompagnent d’effets totalement différents selon les pays: les pays d’Asie du Sud ont pratiqué ces politiques et ont décollé subitement dans les années 60 à 90, et il n’en serait pas de même pour l’Amérique du Sud ? Peut-être parce que justement les privatisations n’en étaient pas, peut-être parce qu’un peu de baisses de tarifs douaniers étaient compensés par la mise en place de licenses d’importations etc.
Pour constater tout cela il faudrait aller au-delà de la répétition des mantras altermondialistes!

Aujourd’hui, seul un petit quart des Latino-Américains plébiscite l’action du marché. Ils sont 70% à exiger une plus grande intervention de l’État.

L’histoire politique de la majorité des pays latino-américains est aussi celle de populations déresponsabilisées, en attente d’un Etat paternaliste. S’enclenche alors un cercle vicieux : le paternalisme favorise le clientélisme, et partant, l’affaiblissement de l’État comme garant du droit.

Voilà qui fait sens: en fait c’est bien la mise en coupe réglée par des groupes de pression qui appauvrit ces pays. Un tas de gens s’accaparent l’Etat pour l’utiliser à leur profit. Chaque groupe empêche ses concurrents d’émerger, les prix de baisser, ou se crée un ilôt artificiel de richesse, une rente de situation basée sur une license d’exploitation monopolisée par exemple.
Vous appelez ça du libéralisme ? Le renard libre dans le poulailler libre, c’est l’Etat!
Un exemple ?

La lointaine province de Santiago del Estero est gouvernée par un couple, Carlos et Nina Juarez depuis un demi-siècle ! La recette : une savante distribution de postes de fonctionnaires ­ seule source d’emploi dans la province ­ et de l’aide sociale, mâtinée d’intimidation dans le plus pur style féodal.

Et voilà comment on ruine un pays: les fonds sont dépensés à acheter une clientèle électorale fidèle, qui appauvrit les uns pour ensuite les maintenir en dépendance et donne du travail aux autres sous couvert de solidarité avec les premiers!

En fait l’Amérique Latine n’a bénéficié que d’un ersatz de libéralisme économique (sauf le Chili!), et en fait de démocratie n’a connu que la partie corruption/clientélisme, bref ce qui existait déjà auparavant. Sauf que sous une dictature les personnes à prélever la dîme sont moins nombreuses, puisqu’il n’y pas besoin de s’appuyer sur une majorité électorale incertaine pour continuer à exercer le pouvoir et ainsi arroser les amis… Un tyran et sa clique sont plus vite rassasiés qu’une armée de fonctionnaires… et le tyran sait que si la population n’a pas faim elle verra en lui le sauveur, et alors sa légitimité est acquise.
Espérons simplement que les futurs dictateurs ne ressembleront pas à Castro mais plutôt à Pinochet, car sinon il se pourrait que l’Amérique du Sud bascule dans l’abîme pour une longue période.