Reproduction interdite

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Bienvenue dans le monde de Bernard Coutaz (interview donnée aux Echos le 29/10/2003 *), président d’Harmonia Mundi « l’un des leaders français de la musique classique« . Le droit à la copie privée est cette permission légale que vous avez d’imprimer cet article pour le relire plus tard, ou de copier votre CD de Lara Fabian sur votre lecteur mp3 (si vous êtes masochiste…). Mais selon Bernard Coutaz le droit à la copie privée est une entorse à la « propriété » (**) intellectuelle. D’habitude même les partisans acharnés de la « propriété » intellectuelle vous « accordent » ce « droit » d’écouter votre CD (mais leur musique) dans votre voiture comme dans votre salon, mais pour Bernard Coutaz, il n’en est pas question:

je m’interroge sur ce droit, c’est une tolérance que je remets en question. […] Je demande même sa suppression: il faut interdire la copie privée et parallèlement supprimer la redevance sur les supports vierges.

La « redevance » sur les supports vierges, ce sont les 20 euros (environ, ça dépend de la capacité du support) sur le prix d’un Ipod (par exemple) que vous payez pour avoir le droit d’écouter la musique que vous avez acheté en CD auparavant et transférée sur votre Ipod. Vous ne pensiez tout de même que parce que c’est légal vous n’alliez pas devoir payer pour cela, n’est-ce pas ? Cette taxe existe depuis 3 ans environ, et je la contourne car si je veux des CDs vierges (soumis eux aussi à cette taxe) ou des DVDs vierges (capacité plus importante, plus de taxe) je les achète à l’étranger, comme j’ai acheté mon lecteur mp3 à l’étranger. C’est encore légal, heureusement. Qui sait jusqu’à quand ?
Cette taxe, M. Coutaz souhaite la supprimer en même temps que le « droit » de faire une copie d’un CD. Ouf, c’est déjà ça de gagné…

Et il ajoute:

Aujourd’hui, la copie est entrée dans les moeurs, à tel point que j’entends beaucoup de personnes dire: « n’achète pas ce disque, car je l’ai et je peux te le copier« . L’ensemble de notre industrie – et pas seulement les majors – est touchée par cette dérive.

La copie privée n’implique pas de pouvoir « donner » à vos amis la musique que vous avez « achetée » (ou plutôt qu’on vous a généreusement « prêtée » sous la forme d’un support quelconque). Mais pas grave, mettez lui vos petits ennuis actuels (réels ou supposés) sur le dos, et ensuite visez son interdiction. Après ce sera à l’Etat de faire respecter la loi, et vous mettrez ainsi sur le dos de vos consommateurs-criminels la charge financière subséquente… Tout bénéfice!

La copie privée remet en cause la possibilité de produire de nouveaux enregistrements. Et la rémunération qu’elle procure ne représente pas grand chose pour une maison de disques comme celle que je dirige

Hé oui M. Coutaz, la « redevance » est absorbée par les grosses maisons car il est supposé que les artistes plus « piratés » sont ceux qui vendent le plus… on pourrait aussi argumenter l’inverse! Plus on est « piraté » et moins on vend, non ? Enfin bref, avec ce système ceux qui gagnent le plus sont les artistes de la Star Ac’, Jean Jacques Goldman, et le fraudeur des impôts (alias Florent Pagny). Quant à la possibilité de produire de nouveaux albums, il faut demander à TF1/Star Ac’ comment ils font pour nous sortir chaque année autant de stars, pathétiques sur le plan artistique peut-être (question de goût, de point de vue, d’âge, de façon d’aborder la musique et du degré d’intérêt qu’on y porte), mais qui incontestablement vendent des centaines de milliers et même des millions de disques! A titre personnel je connais aussi des albums auto-produits à l’aide d’un PC, de mp3 envoyés sur le Net entre musiciens pour mixage/ajout d’effets etc, le tout vendu sur un marché de spécialistes, le « metal », par des artistes s’étant fait un nom en distribuant gratuitement quelques titres via réseau P2P (***).

Pour contrer la « piraterie » en empêchant la copie des CDs sur le disque dur d’un ordinateur, il existe des systèmes rendant impropres les CDs à la lecture dans bon nombre de lecteurs CDs, autoradios, PCs… Mais quand le journaliste des Echos demande à M. Coutaz si il va employer des systèmes « anti-copie » sur ses « produits » (oh mon dieu, j’ai utilisé un mot interdit!) voilà ce qu’il répond:

J’en ai très envie. […] Seulement je pense qu’avant toute chose, il est nécessaire de faire disparaître le droit à la copie privée. Je n’ai pas envie de payer des procès tels que ceux intentés par l’UFC Que Choisir à des éditeurs qui équipent leurs CD de systèmes anticopie les rendant illisibles sur des autoradios ou des PCs.

Pourquoi faire des procès ? Tout simplement parce que le produit est défectueux: vous achetez un CD qui est illisible sur la moitié de vos équipements audios! Car si la musique « appartient » à la maison d’édition (selon l’idéologie de la « propriété intellectuelle »), le CD vous appartient bien, et il vous est vendu en tant que support pour écouter cette musique! Le système anti-copie qui empêche aussi l’écoute, amusant non ? A quand le livre écrit en encre invisible ?

Enfin le journaliste pose la question qui vous brûle les lèvres:

Les Echos: N’est-il pas normal de pouvoir écouter un même CD sur différents lecteurs, y compris un baladeur mp3 ?
M. Coutaz: Ecoutez, nous souhaitons protéger notre propriété, ce qui est totalement légitime. Et si un consommateur ne peut pas écouter son CD sur son autoradio, eh bien il n’a qu’à rentrer chez lui pour l’écouter sur sa chaîne hifi!

Ca va de soi! Si tu veux écouter ton CD, tu ne sors pas de chez toi et tu fermes ta gueule, con-sommateur.
Mais attendez, le meilleur est à venir:

S’il veut l’écouter sur d’autres supports, il n’a qu’à acheter plusieurs exemplaires du même disque destinés à ces types de lecteurs.

Vous avez compris ? Vous achèterez un CD pour votre chaîne hifi, un autre pour votre autoradio, un autre pour votre Ipod… Allez là, on se presse, on passe à la caisse!
Et pour ce combat glorieux il a le soutien du Syndicat national de l’édition phonographique, d’Universal France et d’EMI France, tous les poids lourds du secteur.

Mais ce n’est pas tout, car pour expliquer la baisse de la demande (enfin, par pour tout le monde) ce brave M. Coutaz refuse de remettre en cause l’industrie du disque et l’offre disponible, ou de constater qu’il existe des produits de substitution aux CDs comme par exemple les DVDs. Et le voilà qui se lance dans une diatribe sur la mort des petits disquaires d’autrefois: « il y a 20 ans ils étaient 2.300 aujourd’hui ils sont 200« . Et alors ? Ils n’ont pas su s’adapter aux méthodes de la FNAC, des hypermarchés et autres concurrents nouveaux ? En quoi cela influe-t-il sur la demande de musique ?? Ce phénomène n’est pas nouveau mais par contre la baisse des ventes elle est toute récente. Aucun rapport donc entre les deux. Mais c’est pas grave: « l’offre est pauvre car les disquaires indépendants ont disparu« . Le même discours que celui d’un épicier déplorant l’arrivée d’un supermarché dans sa ville. Sauf que justement l’offre a explosé avec l’arrivée d’Amazon, la FNAC, Virgin! On peut se procurer des CDs en import du monde entier, sans compter les disquaires spécialisés qui servent des micro-marchés de passionnés (en particulier les amateurs de vinyles) : musique électronique (techno, house etc.), musiques expérimentales, punk/hardcore, soul/funk, rap/hip-hop, reggae et autres musiques caraïbéennes, musiques africaines, Elvis Presley
Alors bien sûr, pour M. Coutaz il faut un prix unique du disque: pas de concurrence sur le prix des CDs! Ce sont des biens culturels, pas des yahourts! Comme pour les livres il doit être interdit de baisser les prix, au plus grand bonheur des maisons d’éditions qui font les plus gros tirages puisque le coût marginal descend quand la production augmente, et qui voient donc leurs bénéfices augmenter d’autant, et des libraires de quartier qui n’existeraient (peut-être) plus sans cela. Et bien sûr là-dedans c’est vous le dindon de la farce! Un exemple ? J’ai acheté Harry Potter 5 (L’ordre du Phénix) sur Amazon.com pour 17$ à sa sortie (15 euros environ) aux USA, quand il est sorti à 26 euros en France. Bizarrement aujourd’hui vous pouvez le trouver maintenant à 8 euros (dans sa version anglaise) sur le site Amazon.fr, alors que la version en langue française coûte toujours 26 euros… D’ailleurs à voir la multiplicité des prix pratiqués sur les mêmes ouvrages, à quoi sert cette loi réellement…
Mais pour M Coutaz, « Lang a sauvé le livre« :

La loi Lang a sauvé le livre, et il n’est pas trop tard pour l’étendre au monde du disque. […] Si on arrive à obtenir une plus grande diversité des points de vente, on obtiendra en amont une plus grande diversité chez les producteurs. Il ne sert à rien de subventionner les disques.

Sauf que les prix fixés par décret ce sont ni plus ni moins que des subventions camouflées, et encore, même pas pour les producteurs mais pour les distributeurs! Et pourquoi croire que la production serait stimulée ? Absurde!

Dernière question de cet entretien hilarant/délirant, celle du prix des CDs: serait-il trop élevé ?

Je réponds que nous ne vendons pas que des rondelles de plastique. L’idée d’un CD trop cher est très répandue chez les personnes qui ne savent pas combien coûte la production d’un disque et je suis bien sûr contre cette idée reçue.

Et il cite ensuite l’exemple de ses productions classiques, donc chères car nécessitant orchestres, chorales, etc, le tout destiné à un public de 20 à 30.000 personnes. Evidemment dans un marché libre le CD de M. Coutaz coûterait certainement bien plus cher qu’un CD autoproduit, et cela serait normal, logique et juste : une logique et une justice que M. Coutaz n’est pas prêt d’accepter… Que dire à M. Coutaz ? Peut-être le plus simple est de lui tenir le discours qu’il tient à ses clients potentiels: « eh bien, vous n’avez qu’à changer de métier« . *: je viens d’en prendre connaissance grâce à l’intarissable Eric ABC qui m’a envoyé une photocopie (pouah, diantre, brûlez l’infâme!) de l’interview, publiée dans Les Echos rubrique « Innovation » (sic) du 29/10/2003
**: je mets des guillemets partout car les termes sont tous sujets à débat: « propriété intellectuelle » « droit à » « droit de »…
***: si vous aimez le « metal » envoyez un mail je vous indiquerai le site du groupe en question. Remarque complémentaire sur ce sujet : grâce à l’internet, n’importe qui peut acheter n’importe quel CD produit dans le monde, et n’importe qui, s’il a du temps et de l’argent, peut connaître et acheter la totalité de la production existante dans un genre donné ! Et donc dans chaque genre donné, les « petits » artistes (qui sortent leurs disques en auto-production ou sur des petits labels) qui n’étaient auparavant connus que dans leur ville/région ou de quelques spécialistes-collectionneurs dans le reste du monde, peuvent maintenant se faire connaître de bien plus d’amateurs de musique. Et donc les petits artistes sont par là-même « incités » à se produire, faire des disques etc.

Par ailleurs, ce n’est pas un hasard si c’est aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne qu’il existe le plus grand nombre de labels « indépendants », les plus prospères et ceux qui durent le plus longtemps aussi (pour la raison que plus un pays est libre sur le plan économique, plus c’est facile d’une part d’exister en étant petit, d’autre part de grandir). Et ce quels que soient parallèlement les processus de concentration chez les majors, qui relèvent essentiellement de la finance (et accessoirement de la logistique).