Destructeurs de valeur

Les destructeurs de valeur sont à l’oeuvre: cette fois, ils prétendent protéger les entreprises françaises. Le Monde:

Dominique de Villepin a souhaité dimanche 5 février que les entreprises françaises et européennes soient mieux armées pour résister aux attaques du type de l’OPA lancée par Mittal sur Arcelor. « Il est important que nos entreprises puissent se battre à armes égales avec les entreprises étrangères », a déclaré le Premier ministre, qui était l’invité du Grand Rendez-Vous Europe 1-TV5 Monde-Le Parisien.

Mieux armées ? On est en guerre ? Une OPA est une « attaque » ? Une OPA est une offre publique d’achat: cela veut dire que quelqu’un propose d’acheter des actions à un cours (forcément) supérieur à celui du marché, dans le but de prendre le contrôle d’une entreprise. C’est une opération évidemment légale, rien d’autre qu’une offre au-dessus du prix du marché, que chaque actionnaire est libre d’accepter ou de refuser. « Résister » à une OPA revient en fait à proposer plus, sous n’importe quelle forme, parfois il suffit même d’une stratégie convaincante, d’une alliance avec un autre groupe, d’une surenchère… Toutes ces options existent bien entendu déjà pour les entreprises françaises. De quoi parle donc Villepin ? Pourquoi les entreprises françaises auraient-elles moins de possibilités que d’autres ? Est-ce un aveu que, quelque part, il existe des régulations financières moins souples, des entraves diverses aux alliances, ou d’autres problèmes avec les lois françaises qui empêcheraient les entreprises de surenchérir (au profit, rappelons-le, des actionnaires) ?

Plaidant pour un actionnariat renforcé, stabilisé, Dominique de Villepin a souligné qu’il ne s’agissait « pas de bousculer les règles du marché ». Mais, a-t-il ajouté, « dans certains cas, on a l’impression que le match de tennis se fait avec d’un côté un joueur avec une magnifique raquette et de l’autre côté l’autre joue avec un panier percé ». « Dans ces cas là, il faut faire face et doter chacun des armes équivalentes pour marquer des points », a-t-il dit, se défendant de tout « protectionnisme économique ».

Un actionnariat stabilisé ? Par qui ? Par quoi ? D’ailleurs, qu’est-ce que ça veut dire ? Les actionnaires sont des investisseurs, s’ils jugent qu’ils peuvent retirer plus de valeur en répondant à une OPA (en vendant leurs titres), pourquoi ne devraient-ils pas le faire ? Il y a déjà tellement de lois entravant les possibilités pour un investisseur personnel de vendre ses titres à court terme (toute plus value est taxée CSG/CRDS, impôt sur le revenu ou impôt sur le prélèvement libératoire si je me souviens bien)… c’est ça, stabiliser l’actionnariat, empêcher les investisseurs personnels de vendre ? De rendre la possession d’actions difficile pour le commun des Français ? Peut-être s’agit-il de protéger, in fine, le régime de retraite de la « menace » de l’investissement privé ? Si les Français se rendent compte qu’investir en Bourse rapporte plus que payer des cotisations, où ira-t-on!

« Soyons exigeants, mobilisés, et soyons vigilants. Je veux en savoir plus, apprécier la réalité du projet industriel, connatre la nature du projet social », a-t-il poursuivi. « Nous sommes dans un monde où domine une forme de capitalisme financier mais, derrière les finances, il faut regarder les réalités économiques, technologiques et humaines.Moi, je suis de nature curieuse » , a-t-il lancé. « Ce que je souhaite, c’est doter nos entreprises des atouts indispensables pour les aider à faire face à ce qui est une donnée du monde d’aujourd’hui, l’intelligence économique, pour les aider à protéger certains secteurs stratégiques », a précisé le premier ministre.

Exigeants, mobilisés et vigilants. Qui doit l’être ? Ceux qui doivent l’être, ce sont les actionnaires, les propriétaires des entreprises. A eux de décider, pas à Villepin ou à d’autres. Alors quand Villepin prétend protéger les entreprises, tout ce qu’il fait c’est détruire par anticipation de la valeur: les entreprises invendables perdront de la valeur (car la perspective d’une OPA fait monter le cours d’un titre), comme les OPA se basent sur des projets plus rentables que ceux actuellement poursuivis (car il faudra bien que la rentabilité soit à la hauteur du prix payé pour prendre le contrôle de l’entreprise), cela signifie aussi que la société entière perdra ces projets (qui se traduisent en gain de productivité, nouveaux services et produits…)…

Bref, comme d’habitude ils prétendent protéger et ils détruisent. Le patriotisme économique n’est qu’un avatar de plus de la connerie des dirigeants français, qui précipitent ce déclin contre lequel ils prétendent lutter.