Vaste et fabuleux chantier

Lire le journal est un exercice pénible. Par exemple, le 4 juin dernier, je cherche les mots fléchés, la page la plus agréable de 20 Minutes et je tombe sur une colonne d’opinion intitulée « Le développement durable, vaste et fabuleux chantier« . Voyons voir… Non, l’auteur n’est pas un politicien, c’est un entrepreneur. Ou plutôt un chercheur ou un mineur: il fleure le bon filon, tente de dénicher la rente. Et il a trouvé:

« Thierry Kazazian, directeur fondateur de O2 France, agence de conseil en développement durable »

Reprenons les choses dans l’ordre: agence: entreprise à but lucratif; conseil: tout et n’importe quoi qui justifie une facture; développement durable: concept fourre-tout, en vogue auprès des politiciens. Je résume: l’auteur a fondé une entreprise dont le but est de produire un peu tout sur un sujet aux contours indéfinis. Ceci dit, je suis sûr qu’il réalisera son business plan!

Bien évidemment, il a bien une idée à vendre, sans quoi il ne se lancerait pas dans l’aventure (je lui accorde donc le bénéfice du doute…). Et que le « fisking » commence!

« La semaine du développement durable, inaugurée par le gouvernement, a le grand mérite de pointer les limites et les déséquilibres de notre société de consommation. Car si notre mode de vie était adopté par l’ensemble de la planète, il faudrait aujourd’hui deux terres et demie supplémentaire, tant nous avons besoin de ressources naturelles »

S’il y a un truc que les gouverments aiment bien, c’est se sentir importants. Instaurer une « semaine du développement durable », voilà qui a de la gueule: « Je décrète que cette semaine vous allez moins manger, moins uriner, moins vous laver, moins vous déplacer ». Sauf moi, pourrait ajouter le politicien. Heureusement ce genre de mesures n’ont pas encore été prises, bien qu’il y ait des rationnements d’eau (!) dans certaines régions de France. Ce genre de « semaine » est destinée avant tout à organiser des colloques, et les cocktails associés. J’imagine aussi un voyage ou deux « sur le terrain », c’est à dire dans un endroit ensoleillé en général, pour quelques privilégiés.

Concernant les limites et les déséquilibres de notre société de consommation, je dois dire que je ne comprends pas de quoi il parle. Nous avons un système de production, des prix qui reflètent les différents coûts, et nous nous en sortons très bien. On peut économiser sur pas mal de choses, c’est certain, mais il est dans l’intérêt de chacun de le faire. Personne n’aime gaspiller des ressources. Sauf si la définition de gaspillage devient: « aller faire des courses en voiture plutôt qu’à pied » ou « traverser l’Atlantique en 747 plutôt qu’en voilier ».

Sur les « 2 Terres et demie supplémentaires », je crois avoir répondu dans ce précédent article: Empreinte écologique. Bâtir une entreprise sur un mythe je croyais que c’était réservé au showbiz!

« L’une des raisons principales de ce déséquilibre: la surabondance de biens et leur trop faible utilisation. Le nombre d’objets que nous possédons a ainsi décuplé en deux générations. A titre de comparaison, le revenu d’un Européen moyen donne accès à la même profusion d’équipements que celui d’un millionnaire des années trente. »

En gros, en l’espace de 70 ans, notre revenu réel a été multiplié par des centaines. Super non ? Et bien non.

« Infiniment plus d’objets donc, mais en conséquence, un temps d’utilisation plus court pour chacun. Ainsi une voiture reste en moyenne 92% du temps à l’arrêt et une perceuse n’est utilisée qu’une demi-heure par an. »

C’est sûr que je devrais faire tourner ma perceuse plus souvent, elle risque de rouiller… quand à ma voiture, même topo: je vais abandonner les transports en commun, je vais rentabiliser ma voiture. J’ai bon ?

« L’impact de ces produits sur l’environnement (engendré par leur fabrication, leur utilisation et leur fin de vie) est donc disproportionné par rapport aux services qu’ils rapportent. »

On le sentait venir dans le paragraphe précédent, mais voilà, il l’a dit! En gros cet homme sait mieux que vous la valeur du service rendu par votre perceuse ou votre voiture. Lui Grand Maître Jedi. Vous petit padawan. Vous pas comprendre. Lui Savoir. Je n’ai même pas besoin de défendre l’achat de perceuses ou de voitures. Qui a le budget ? Qui prend la décision ? Lui ou vous ?

« La logique du développement durable consiste à sortir l’économie de ce schéma consumériste, à la rendre plus responsable -tant pour nous que pour les générations futures- et plus solidaire aussi, face à la disparité des niveaux de vie entre le Nord et le Sud. »

Halte à la société de consommation! Vive la société du partage! Mettons en commun les objets surnuméraires et ainsi tout le monde aura sa perceuse et sa voiture commune! Evidemment, comptez pas sur du matériel neuf et en bon état, et puis pas de perceuse ou de voiture le weekend car il y a pénurie.
Au passage, je note qu’il parle de la solidarité. Qu’est-ce que ça vient foutre là-dedans ? Ah mais en fait ça a tout à voir: le développement durable est la solidarité étendue non plus aux seuls revenus mais à toutes les possessions!

« Puisque près de trois milliards de nouveaux consommateurs aspirent légitimement au même standard de vie que le nôtre, nous verrons, dans les prochaines décennies, évoluer profondément nos modes de consommation. Avec un impératif: utiliser beaucoup moins de ressources naturelles. Cette profonde mutation doit être encouragée par les pouvoirs publics et les entreprises. »

Quel devin: nous allons consommer moins de ressources pour produire des quantités largement supérieures. Comment croit-il que l’enrichissement FANTASTIQUE (il l’avoue lui-même) que nous avons connu a été possible ? Par le miracle que l’on nomme PRODUCTIVITE. Aujourd’hui TOUT LE MONDE est riche par rapport à simplement 50 ans. Il y a un TAS de produits qu’un « riche » n’aurait jamais pu même imaginer il y a 50 ans.
Quand aux éventuels « encouragements » des pouvoirs publics, sont-ils nécessaires ? Niet. Si éventuellement il vient à manquer de tel ou tel produit, matière première ou non, son prix augmentera, et on trouvera soit d’autres moyens d’en produire, il s’ouvrira de nouvelles usines de retraitement, ou bien une alternative sera trouvée. A moins que tout simplement la hausse ne soit répercutée sur le consommateur final!

« Mais c’est surtout à nous, citoyens, d’évoluer, de devenir davantage utilisateurs que consommateurs, de privilégier autant l’usage que la possession. »

Et si je veux pas ? Si j’aime avoir ma perceuse sous la main à tout instant ?

« Nous n’aurons pas forcément la même voiture chaque jour, mais une voiture partagée, adaptée à nos besoins de l’instant, petite ou grande selon le nombre de personnes transportées. C’est un exemple parmi d’autres, mais qui vient confirmer que le développement durable est un vaste et fabuleux chantier. »

Ouf, on arrive à la fin. La solution décrite existe déjà: on appelle ça la location. Je n’ai pas de voiture. Si j’en avais besoin, hormis en emprunter une ce que je fais souvent, je peux aller à Avis ou Hertz (et un tas d’autres dont le nom m’échappe). Si j’ai un besoin très ponctuel je peux même prendre le taxi, même si c’est extrêmement cher car « régulé » (la « plaque » se paye 120.000 euros à Paris!!!!). Pareil d’ailleurs pour pas mal de matériel: tout le monde connaît « Kiloutou » ? Hé. Si ça se trouve on peut déjà louer des perceuses! Bref, il vient d’inventer la roue ce brave homme.

Si vraiment on en arrive à des situations trop tendues sur les prix de certains produits, c’est comme cela que seront mutualisées les ressources: des entreprises loueront. Evidemment, si c’est un Etat qui organise, prévoyez pénuries, favoritisme, le tout mâtiné d’égalitarisme… Et quand on sait que le développement durable est un concept avant tout destiné aux politiciens…