Aveuglement idéologique

Aujourd’hui dans Le Monde, un retour par Nicolas Weill sur la « controverse » suscitée en 1997 par la préface de Stéphane Courtois à l’ouvrage collectif « Le livre noir du communisme:

Le maître d’oeuvre du Livre noir, Stéphane Courtois reprend et radicalise la thématique dans un « chapitre introductif » qui va mettre le feu aux poudres en plaçant sur le même pied le « génocide « de classe«  » et le « génocide « de race«  ». « La mort de faim d’un enfant de koulak ukrainien délibérément acculé à la famine « vaut » la mort d’un enfant juif du ghetto de Varsovie acculé à la famine par le régime nazi« , martèle-t-il. La phrase fait scandale moins par son contenu que par la protestation qu’elle suggère : la mémoire de la Shoah – alors très présente dans le contexte du procès de Bordeaux [le procès de Maurice Papon se déroulait au même moment] – servirait à occulter celle de la terreur communiste.

Parler des crimes nazis, c’est autant de fois en moins qu’on parlera des crimes communistes. Je me souviens encore de mes années de collège et lycée, et je ne me souviens pas avoir passé le cinquième du temps à étudier les crimes communistes par rapport à ceux des nazis, pourtant loin derrière comptablement. Et c’est pareil pour les reportages télés, les livres etc.

Evidemment, l’équation nazisme = communisme n’obtient pas des faveurs unanimes, y compris parmi les auteurs du Livre Noir:

Certains des principaux auteurs, notamment Nicolas Werth, qui a traité du chapitre concernant l’URSS, et Jean-Louis Margolin prennent alors leurs distances avec cette « ligne générale » qui transforme le livre en machine de guerre pour la « concurrence des victimes« . Dans Le Monde du 14 novembre 1997, ils refusent d’endosser la thèse d’une « sanglante essence du communisme« . « Le communisme au pouvoir fut partout antidémocratique et répressif ; il ne fut ni partout ni constamment massacreur« , assurent-ils au nom de la complexité. On ne peut réduire le phénomène communiste à son caractère meurtrier.

La vraie critique à l’égard de la position de Stéphane Courtois est là: beaucoup refusent d’admettre la « sanglante essence du communisme« . Quant à affirmer que les régimes communistes ne furent pas uniformément massacreurs, certes, mais comme ils le reconnaissent eux-mêmes ils ont tous été « antidémocratiques et répressifs« , qualificatifs auxquels j’ajoute: totalitaires. Appeler « massacreurs » tous les régimes communistes est sans doute légèrement excessif, par exemple Castro n’a pas massacré avec autant d’enthousiasme que d’autres, même s’il a fait fusiller par Che Guevara nombre d’opposants (avant de se débarasser du Che qui lui était avide de sang). Il n’en reste pas moins que tous sans exceptions ont procédé à des purges, des famines provoquées, ou bien, pour revenir sur l’exemple cubain, à un exode massif et meurtrier de population (pensez aux balseros). Tous les régimes communistes ont du sang sur les mains. Peut-on alors réduire le communisme à son caractère meurtrier ? Non, de même qu’on ne va pas parler de l’islamisme qu’en comptant le nombre de victimes d’attentats. Le communisme est une idéologie, avec des fondements théoriques, des croyants, et malheureusement des pratiquants (le plus souvent contre leur gré).

La question de fond est donc la suivante: l’idéologie communiste est-elle intrinsèquement meurtrière ? A cela la réponse est facile: puisque le communisme n’existe pas naturellement, il faut l’imposer, contrairement au « capitalisme » qui émerge seul dès lors que les individus sont libres. Puisqu’il faut briser les relations tissées librement pour imposer le communisme, il faut évidemment recourir à la force, où à la menace de la force. Une fois le marché détruit s’ensuit les conséquences inévitables: mauvaise allocation des ressources, d’où pénuries, investissements ineffectifs, mécontentement général, répression, recherche de boucs émissaires, purges, famines… Et c’est sans compter les effets secondaires: quand le système de santé prend l’eau, l’espérance de vie de la population n’augmente pas aussi vite qu’elle l’a fait dans les pays plus libres, les nouveaux médicaments coûteux ne sont pas distribués, les dernières technologies ne sont pas disponibles, etc. Et c’est pareil pour la vie culturelle: vous pouvez nommer un film soviétique marquant ? Un auteur ? Idem pour tous les biens de consommation courante, etc. La vie dans les régimes communistes est terne, sans espoir, faite de queues, de rationnements, génère du cynisme et du ressentiment. Pire encore, elle détruit l’initiative individuelle, promeut l’obéissance aveugle à l’autorité, encourage la suspicion mutuelle, donc sape complètement les bases de toute société de confiance, annihile toute vélléité de prise de risque. Une société subissant le communisme pendant trop longtemps met des années à s’en remettre moralement, et on voit aujourd’hui avec la Russie combien il est difficile de sortir du communisme sans retomber derrière dans un régime similaire (Poutine est un autocrate concentrant lui et sa clique tous les moyens de l’Etat, supprimant les indésirables, à la différence des communistes il reconnaît aux autres le droit de s’enrichir pour mieux les piller ensuite au travers de la corruption, de la confiscation, et des impôts).

A ce jour, le communisme est pourtant toujours vu comme un idéal noble:

La controverse rebondit à l’intérieur du Monde, dont le directeur, Jean-Marie Colombani, prend la plume en personne, le 5 décembre 1997, pour rappeler, à propos de la comparaison entre nazisme et communisme, qu' »il y aura toujours une différence entre celui qui s’engage en croyant à un idéal relié, par la réflexion, à l’espérance démocratique, et celui qui repose sur l’exclusion et qui fait appel aux pulsions les plus dangereuses de l’individu« .

Le communisme n’est en rien démocratique, même si la page Wikipedia sur la dictature du prolétariat est très tendre:

De façon concrète, la dictature du prolétariat se présenterait par un pouvoir détenu par l’ensemble des prolétaires, organisés de façon démocratique (avec des conseils, des élus mandatés et révocables, notamment). Le concept est ainsi présenté comme se rapprochant de la démocratie directe. Il y a toutefois deux spécificités : la dictature du prolétariat nécessite une révolution prolétarienne préalable qui passe par la prise du pouvoir populaire. D’autre part, le pouvoir serait la propriété d’une seule classe sociale, d’où un problème de discrimination.

Des spécificités qui nient totalement l’idée d’une démocratie puisque la révolution est forcément menée par une minorité, sinon pas besoin de révolution, d’autre part une fois la révolution faite les dirigeants choisissent soigneusement qui participe à la « démocratie »… Bref une vraie démocratie populaire!

Par ailleurs, le communisme en appelle à la jalousie en divisant la société en exploiteurs et exploités, elle absout la moitié de la population en désignant expressément l’autre moitié comme responsable et coupable des maux de l’autre. Aucune introspection requise pour les croyants, la cause de tous les maux se trouve dans les actions des autres. On ne peut donc nier que le communisme en appelle aux plus bas instincts de l’homme. Il y a les victimes et les exploiteurs, les gentils et les méchants! Le monde communiste est manichéen, donne carte blanche aux « gentils » pour éliminer les autres, coupables de toutes les ignominies. Pas étonnant dès lors que les communistes aient massacré autant au travers de tout le 20ème siècle (et continuent de le faire en Corée du Nord).

Alors, le communisme est-il inévitablement meurtrier ? Au regard des expériences du 20ème siècle, on peut répondre oui. Et si demain Besancenot ou d’autres prenaient le pouvoir en France (ce qui est hautement improbable), il n’y a pour moi aucun doute que l’aveuglement idéologique de ces néo-communistes amènerait aux mêmes désastres. D’autant qu’à l’heure actuelle personne dans les milieux médiatiques ou intellectuels n’a entrepris de regarder le communisme en face et de le dénoncer.