Solidaire, si je le veux

« A notre époque, il faut être « solidaire ». Il y a une rage vraiment comique d’user de ce terme (…) En France, tout discours officiel doit renfermer une ou plusieurs fois le terme de « solidarité » »

Vilfredo Pareto, Les systèmes socialistes, 1903 J’emprunte ce beau titre- ainsi que cette citation- au livre fameux d’Alain Laurent (Les Belles Lettres, collection laissez-faire, 1991). On insiste à juste titre sur la validité toujours actuelle des analyses de Frédéric Bastiat (1801-1850) mais il est édifiant de constater que, s’agissant de ce socialisme soft qu’est le solidarisme, les propos de Pareto n’ont nullement vieilli. Comme le dit mon complice et ami, Hervé Duray, les rapports Charzat et autre « Grenelle de la santé » se mettent singulièrement en concurrence dans la proclamation de la faillite de l’État social et « solidaire ». C’est à qui dressera le bilan le plus sinistre. Une fiscalité pénalisante qui incite hommes et biens à fuir le pays, un monopole d’État sur l’économie de la santé qui engendre la surconsommation puis la pénurie pour maîtriser les dépenses, une gestion soviétique des dépenses par les « partenaires sociaux », voilà résumés en quelques mots les principaux acquis du solidarisme. Et que l’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit là de l’oeuvre des seuls socialistes. C’est la classe politique tout entière qui est mouillée. Philosophiquement, la droite conservatrice (dont un des maîtres à penser est Joseph de Maistre) ou la droite simplement « pragmatique » sont traditionnellement solidaristes, comme le souligne Alain Laurent en extrayant des déclarations de Barre ou Chirac. Le solidarisme imprègne à ce point les discours qu’il est entré dans le sens commun. Il est devenu une « valeur démocratique » c’est-à-dire une valeur majoritaire que les hommes politiques doivent nécessairement défendre s’ils veulent être élus. Pas étonnant alors qu’une convergence « démocratique » s’opère, que la gauche et la droite défendent finalement les mêmes valeurs, tout en essayant de se différencier le mieux possible, davantage sur des questions de méthodes que de valeurs. Alain Juppé, en bon socialiste de droite, ne renie pas le principe du monopole public mais « fait amende honorable devant les praticiens libéraux »: il est « toujours favorable à une maîtrise comptable des dépenses de santé » (Le Monde du 14 Juillet). Ainsi, le principe du monopole public est-il toujours partagé par les hommes de l’État. D’où qu’ils viennent.
On trouve un autre exemple édifiant de ce prêt-à-penser solidariste sous la plume de deux sociologues en service commandé dans les pages Horizons-débats du Monde du 13 juillet. En abusant des catégories du marxisme vulgaire (ou de la sociologie de Bourdieu), nos deux sociologues dénoncent l’indigence explicative du Rapport 2000 de l’ Observatoire de la pauvreté. C’est que les auteurs du rapport se sont contentés d’ « observer » (n’était-ce pas là leur rôle justement, comme l’indique le nom de la commission) alors qu’ils auraient dû expliquer pourquoi  » 5% des ménages ne mangent pas de viande trois fois par semaine, et pourquoi 10% vivent dans des logements surpeuplés (…) ». Que n’ont-ils pas expliqué qu’il faut « penser la pauvreté moins comme un état que comme un produit et une discrimination, que cela engage à restituer les mécanismes qui concourent à la concentration toujours plus forte des richesses et à la dégradation des termes du PARTAGE » (c’est moi qui souligne). Partageux, solidaristes, tout ça c’est pareil. Avec un peu d’anticapitalisme primaire en prime: « (…) les stratégies des entreprises qui contribuent au développement du chômage (…) ». On reprochera aussi aux observateurs de ne « jamais interroger l’origine de ces problèmes, notamment le management néolibéral ou l’insuffisance des moyens donnés à l’école. » Et là, Bourdieu tient la plume: « Sous beaucoup d’aspects, l’Observatoire de la pauvreté apporte ainsi le concours de sa force symbolique spécifique, une caution savante, donnée sous des dehors d’objectivité, à la légitimation des catégories de l’action institutionnelle ». Beau jargon ! Tout ça pour dire que eux ce sont les vrais scientifiques qui savent trouver l’origine de la pauvreté dans le mécanisme d’exploitation et de domination inhérent au capitalisme. Et tout cela au service de quelle idée de la société? Celle du partage et de la solidarité. Mais attention, pas le partage spontané relevant d’une volonté individuelle et morale, non, le partage institutionnalisé, la solidarité obligatoire incarnée dans un système, dans des lois. Mais si la solidarité décrétée pouvait supprimer la pauvreté, ça se saurait, non ? Enfin, peut-être cet échec est-il dû à l’imperfection de la législation ? Ou même, en dernier recours, à la mauvaise volonté des individus, des capitalistes, des bourgeois, des propriétaires ? Eh oui ! Vous le voyez, le solidarisme est à bout de souffle, les mêmes arguments sont ressassés continuellement. Dans les habits neufs de la sociologie de Bourdieu ou de la taxe Tobin (je suis sûr que bientôt Juppé et sa compagnie s’aligneront sur les acharnés de la taxe Tobin), c’est toujours la même « valeur démocratique » qui occupe la scène: la solidarité…obligatoire.
« Solidaire, si je le veux » c’est le retour de la responsabilité individuelle et l’impossibilité de vivre légalement aux dépens des autres. C’est la renaissance de la prévoyance individuelle, la fin de la gabegie collective. Quant à la pauvreté, elle n’est pas le produit d’un mystérieux système d’exploitation mais elle résulte d’une incitation à y demeurer. Les subventions augmentent toujours ce qui est subventionné. Subventionnez les enfants, vous aurez davantage d’enfants dans les familles pauvres. Le droit à avoir des enfants existe-t-il ? En tous les cas le devoir de n’en avoir que si on a les moyens de les élever en est bien un, qui, s’il était érigé en principe, éliminerait la pauvreté par le simple mécanisme de la responsabilité individuelle. Le hasard de la naissance n’est qu’un mythe. La solidarité est une belle idée lorsqu’elle relève de l’initiative d’individus libres, elle engendre ce que Mises appelait le destructionisme lorsqu’elle devient obligatoire. Pauvreté, pénurie et effondrement moral, voilà la « solidarité ».