Valeurs, culture et racisme

J’ai tiqué en lisant une interview de Lilian Thuram dans le Figaro du lundi 10 février: si Thuram est l’un des meilleurs footballeurs français en activité, et l’un de ceux pour lesquels j’ai le plus de respect (il a bien failli taper les « supporters » algériens qui entraient sur le terrain en octobre 2001), il n’en reste pas moins qu’il mélange des notions différentes: culture, valeurs, et racisme.

Mise au point. D’abord je voudrais rappeler les propos tenus dans le Figaro:

Question: Dans les stades italiens, certains supporters ont des comportements racistes. Comment réagissez vous à ces attitudes ?
«Il est impossible de se blinder contre le racisme. Simplement il faut être conscient qu’il y a des choses qui ne vont pas, afin d’éduquer les personnes racistes pour que les générations futures ne reproduisent pas les mêmes erreurs. Il faut expliquer que le racisme a en réalité été inventé à un certain moment de l’histoire, quand des hommes ont voulu démontrer qu’il existait une supériorité de certaines populations sur d’autres. Ces démonstrations ont notamment réussi à justifier l’esclavage, mais pas uniquement lui. Par l’éducation, il est possible d’expliquer qu’il n’existe pas de cultures supérieures à d’autres.»

D’abord une note concernant le racisme: comme l’a dit François Guillaumat, c’est utiliser un mauvais critère pour juger une personne: il est violet, c’est un criminel. Il est bleu, il est bête. C’est une généralisation par essence: c’est parce qu’il appartient au groupe violet qu’il est bête. C’est donc tomber dans une représentation sociale collectiviste en attribuant des caractères mentaux (bêtise, intelligence, avarice, égoïsme, que sais-je encore) à une population donnée sur un critère qui n’a rien à voir: race, religion, sexe ou autre.

Le racisme est donc d’une bêtise absolue puisqu’il fait fi de l’individu et prend des critères non pertinents pour juger une personne au travers du groupe auquel elle est sensée appartenir.

De là à en faire un comportement répréhensible par la loi, c’est autre chose, contre laquelle je suis contre, puisque c’est instituer le délit d’opinion, et que le raciste devrait se punir tout seul: si un propriétaire refuse les violets, il aura plus de mal à louer son appart. Si un commerçant refuse de servir les verts, il aura plus de mal à faire du chiffre d’affaire… si un entrepreneur décide de se passer des services des oranges, il aura plus de difficultés à recruter… Idéalement donc, les racistes devraient être punis tous seuls. Et le marché contribuera à rétablir l’équilibre car des entreprises embaucheront des oranges plus facilement car d’autres n’en voudront pas… et des enseignes spécialisées pour les verts serviront les verts en priorité… Bref, le marché répond à ce genre de problème très bien.

Revenons à Thuram: il pense que le racisme a été inventé pour justifier l’esclavage. L’esclavage ? Mais c’est aussi vieux que l’humanité l’esclavagisme! Les pyramides d’Egypte auraient-elles été construites sans esclaves ? Et les serfs du Moyen Age, esclaves de leurs semblables, l’étaient-ils pour leur couleur, ou plutôt le fait qu’ils étaient faibles ?
Peut-être fait-il référence au procès de Valladolid, mais les esclavagistes ne s’en préoccupaient guère. L’esclavage existait bien avant, encore une fois. L’esclavage n’a pas été « inventé » par les blancs, Le racisme non plus.

Autre point: «il n’existe pas de culture supérieure à d’autres »:
Premièrement, il faut définir ce qu’est une culture. Si par culture on entend « ensemble des productions artistiques« , peut-être: à chacun sa préférence, à chacun sa définition du beau, de l’agréable.
Mais si on entend par là: « ensemble de croyances, coutumes, et valeurs partagées par une communauté« , alors là il en va tout à fait différemment.
Il existe des valeurs qui sont supérieures à d’autres, et en ce sens il est indéniable qu’il y a une hiérarchie des « cultures ». Pour moi la culture dite « occidentale », mais qui est partagée en grande part par les Taïwanais ou les Japonais, fondée sur l’individualisme (même « light »), le respect de droits imprescriptibles (propriété privée, propriété du corps, liberté de pensée, d’expression…), est supérieure aux cultures tribales d’Afrique, aux cultures violentes des religieux du Moyen Orient.

Tout noyer dans un relativisme culturel, dans un relativisme des valeurs revient en fin de compte à se mordre la queue: au nom de quoi la valeur de « tolérance » serait meilleure que son contraire ? Il faut donc bien affirmer des valeurs suprêmes, et pourquoi elles le sont.

Ceci dit, j’ai pris pour prétexte cette interview de Lilian Thuram, mais je suis certain que je lui fais un mauvais procès, car il a prouvé à de nombreuses reprises qu’il est un homme droit, de détermination, courageux, et travailleur. C’est un homme qui a des valeurs.