Pauvreté de la réflexion

Jim Wolfensohn, président de la Banque Mondiale ne connait visiblement pas Johan Norberg, pas plus que les journalistes de l’Immonde: Playdoyer pour la mondialisation capitaliste (dispo chez Plon).

Du coup, quand ils parlent de développement ils ont de biens étranges interprétations des statistiques… Tout cela commence dès le titre:

Les objectifs de réduction de la pauvreté seront loin d’être atteints

Quels étaient-ils ? Quel était le plan d’action pour y parvenir ? Qui devait agir selon ce plan ? Mystère, et ne comptez pas sur Le Monde pour vous éclairer: tout ce qu’il faut retenir est dans le titre: la réduction de la pauvreté se solde par un échec.

Pourtant le chapeau de l’article contredit nettement le titre:

La proportion de la population mondiale vivant dans le dénuement absolu, avec moins d’un dollar par jour, est tombée de 1,5 milliard à 1,1 milliard de personnes en vingt ans. Mais ce chiffre masque un déséquilibre entre une Chine s’arrachant à la misère et l’apparition de nouvelles zones en crise.

20 années pendant lesquelles la population mondiale a largement augmenté, principalement d’ailleurs dans des pays pauvres. Combien de nouvelles bouches à nourrir ? 500 millions ? 800 millions ? 1 milliard ? Vous n’y êtes même pas! 1,5 milliard environ! En 1984, un tiers de la population mondiale était pauvre de façon « absolue », vivant avec moins de 1$ par jour (1$ en parité de pouvoir d’achat ? nul ne le sait…). 1,5 milliard d’habitants en plus sur Terre, au taux de pauvreté de 1984 cela devrait représenter 500 millions de nouveaux pauvres. Que nenni, ily en a 400 millions de moins. Il devrait y en avoir 1,9 milliard, il y en a 1,1! 800 millions de personnes ont évité la pauvreté!
Si on fait un rapide calcul, on s’aperçoit qu’en 20 ans le taux de pauvreté absolue a baissé de 1/3 à grosso-modo 20%. Quel échec monumental!

En fait ce qui semble gêner Le Monde c’est le déséquilibre, en un mot les inégalités. Vous vous rendez compte, au fur et à mesure que sortent de la pauvreté des populations entières, les inégalités se creusent! Imaginez un pauvre, il vivait avec 1$ par jour, maintenant il vit avec 3 ou 4$ par jour, les inégalités ont été multipliées par 3 ou 4 par rapport aux pauvres restés dans le dénuement le plus complet! Ce couplet débile combien de fois l’a-t-on entendu ? Faut-il que comme au Bangladesh la pauvreté soit uniformément distribuée et partagée, ou comme en Haïti elle constitue le lot commun pour que Le Monde s’en émeuve ? Hélas oui: nos gauchistes aiment les pauvres qui le restent.

Et bien sûr, c’est de « notre » faute selon le président de la Banque Mondiale:

Jim Wolfensohn, a regretté que les médias soient « mobilisés par le terrorisme, l’Irak, la croissance, le chômage, les élections présidentielles, les déficits budgétaires, les règles de l’Union européenne » au détriment des pays en développement.

Cher Jim, si les médias sont focalisés sur ces problèmes, c’est qu’ils passionnent infiniment plus leur lectorat que la pauvreté absolue. Le Blitz des années 80 sur la pauvreté en Afrique (We are the world) a porté ses fruits: on a fini par se lasser. Ce battage médiatique s’appliquait surtout à l’Afrique, et justement un seul continent n’obtient pas ou presque de résultats: l’Afrique!

La suite est plus intéressante:

« Nous pensons sincèrement que la paix et la stabilité ne peuvent exister sans s’attaquer à la pauvreté. » Le malheur est que la pauvreté n’est pas un sujet « explosif ».

Pas si vite Jim, il faut replacer les choses dans l’ordre: la sécurité est un préalable à la réduction de la pauvreté. Personne n’investit quand il/elle ne sait pas de quoi demain sera fait. Il faut une sécurité juridique et politique, aussi bien que « civile »: un taux de criminalité globale « faible ». Si du jour au lendemain on peut vous tuer, l’Etat peut prendre vos bien, ou décréter que votre bien appartient à la tribu X parce que vous êtes un Y, alors vous ne ferez rien. Et dans ces conditions là il est impossible de sortir de la pauvreté pour le pays entier.

« Beaucoup de gens en parlent mais peu agissent. » L’argent n’arrive pas. Les pays riches ne tiennent pas leurs promesses. Ils consacrent « 300 milliards de dollars par an » aux subventions et aides diverses à l’agriculture, ce qui empêche les pays pauvres d’être compétitifs. Les dépenses militaires atteignent « quelque 800 milliards de dollars par an ». En regard de ces deux chiffres, M. Wolfensohn rappelle le montant de l’aide au développement – « entre 50 et 60 milliards chaque année dont la moitié seulement versé en argent frais ».

Le vrai drame n’est pas que l’argent n’arrive pas, car quand il arrive il est dilapidé en projets absurdes, détourné et réinvesti en Europe ou aux USA, il sert à acheter des armes et à maintenir une bureaucratie au pouvoir… Donc autant que l’argent ne soit jamais versé, en tout cas pas par des organismes tels que la Banque Mondiale, l’ONU ou le FMI.
Le drame ce sont les aides à l’agriculture: en organisant un dumping économique, les pays du Nord empêchent les pays du Sud de vendre leur production. 300 milliards de dollars par an, c’est suffisant pour détruire l’agriculture du Sud et bloquer la voie à tout enrichissement d’une très grande partie de la population mondiale, toujours affairée dans les champs!

Le « coup de gueule » du patron de la Banque mondiale est motivé par les maigres progrès réalisés depuis que la communauté internationale s’est fixé, en 2000, de réduire la pauvreté par deux en quinze ans. Le rapport statistique annuel de la Banque mondiale – intitulé « Indicateurs du développement dans le monde 2004 » -, publié vendredi 23 avril à Washington dresse, en effet, un état des lieux alarmant de la pauvreté.

Comment sont fixés les objectifs ? En nombre absolu ou en taux ? La réduction sur les 20 dernières années (pauvreté en baisse de 33 à 20% de la population mondiale) est déjà éclatante. Pourquoi ne pourrait-elle pas continuer ?
Est-ce un résultat alarmant ? Ne serait-ce pas plutôt un résultat encourageant ?

En vingt ans, la proportion de la population vivant dans la pauvreté absolue (moins d’un dollar par jour) dans les pays en développement a été réduite pratiquement de moitié, passant de 40 % à 21 %, indique le rapport. En chiffres absolus, le nombre de personnes vivant dans le plus complet dénuement est passé de 1,5 milliard en 1981 à 1,1 milliard en 2001. Mais ces chiffres sont trompeurs. Ils dépendent des progrès spectaculaires enregistrés en Chine, où le produit intérieur brut (PIB) par habitant a été multiplié par cinq depuis 1981, la population vivant dans la pauvreté absolue tombant de 600 millions à un peu plus de 200 millions de personnes, soit une diminution de 64 % à 17 %.

J’avais compté 1/3, ils disent 41%. Donc c’est une diminution de moitié du taux! Mais ces chiffres sont trompeurs? PARDON ? Si je reprends mon calcul sur la population mondiale actuelle, il devrait y avoir 6milliards*0,4=2,4 milliards de pauvres absolus. Il y en a 1,1. 1,3 milliard de personnes ont échappé à la pauvreté absolue! En quoi cela est-il trompeur ? Là je ne comprends plus du tout.. ahhhhh mais bien sûr! C’est trompeur parce que la pauvreté n’a pas été réduite partout de manière égalitaire! La Chine a fourni l’essentiel du contingent d’ex-pauvres! Dites-moi, cher journaliste du Monde, les Chinois comptent moins pour vous que les Africains ? N’est-ce pas là une immense victoire pour toute l’humanité ? Le progrès est-il moins important parce que ce sont des Chinois ? Non, décidément, je ne comprends pas du tout pourquoi ces chiffres seraient trompeurs.

En Asie du Sud-Est, un taux de croissance annuel moyen du PIB de 5,5 % au cours de la décennie 1990 a contribué à réduire la proportion des pauvres de 41 % à 31 %. Toutefois, souligne le rapport, comme cette expansion économique a coïncidé avec un accroissement rapide de la population dans la région depuis 1990, le nombre absolu de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour n’est tombé que de 34 millions, pour atteindre 428 millions en 2001.

Le journaliste oublie de préciser où a eu lieu la croissance et où a lieu l’augmentation de la population. Ces chiffres agrégés à l’échelle d’un continent si vaste n’ont que peu de sens, même s’ils permettent quand même de battre en brèche l’idée stupide que la pauvreté progresse.

En revanche, la pauvreté a doublé en vingt ans en Afrique subsaharienne. Depuis 1981, indique le rapport, une contraction du PIB de l’ordre de 15 % a fait que le nombre de pauvres est passé de 164 à 314 millions. De même en Europe orientale et en Asie centrale, l’importance du chômage et la baisse de la production dans de nombreuses économies autrefois centralisées ont fait passer le taux de pauvreté absolue, de nul en 1981, à 6 % en 1999.

De l’art de mêler le vrai et le faux… En Afrique il y a effectivement un énorme problème: ce continent est en guerre perpétuelle entre tribus, pays, factions, surtout en Afrique subsaharienne (Rwanda, Congo, Liberia, Burundi, Zimbabwe), il est géré par des despotes sanguinaires, appuyés sur des cliques militaires, financés par… les aides occidentales!
Par contre dire que la situation a empiré dans les ex-économies centralisées est un mensonge honteux: les pays de l’ex-URSS et du bloc soviétique en général connaissaient des pénuries permanentes, une misère rampante, et les statistiques étaient bien sûr soigneusement arrangées. Dire qu’en 1984 il n’y avait pas de pauvreté en URSS c’est se foutre de la gueule du monde.

« Les stratégies nationales de lutte contre la pauvreté doivent leur permettre de satisfaire leurs besoins de consommation immédiats et protéger leur patrimoine garantissant l’accès aux services de base, notamment la santé, l’éducation et la nutrition ».
Il est d’autant plus urgent d’adopter de telles stratégies que l’on estime à 840 millions le nombre de personnes sous-alimentées de façon chronique dans le monde. Même dans les régions qui connaissent une croissance rapide, la qualité de vie des pauvres demeure souvent inchangée faute d’investissements sociaux appropriés, indique le rapport.

Ils veulent mettre la charrue avant les boeufs, ils veulent faire du constructivisme. Le développement est un processus, les effets positifs ne tombent pas du ciel sur un coup de baguette magique (ou de subventionnette magique…). Les effets sont graduels. Il faut passer des seuils: par exemple à un moment donné la richesse des habitants d’un quartier dépasse un certain niveau et il devient possible de construire un tout à l’égout, ou de construire enfin un chateau d’eau potable, de construire un puits, une route…

Pour François Bourguignon, l’économiste en chef de la Banque mondiale, ce qui frappe est la grande disparité des progrès réalisés dans la lutte contre la pauvreté, les succès dans certains pays et régions étant annulés par les régressions ailleurs

Annulés ? En nombre absolu, la pauvreté a regressé. En relatif (taux), la pauvreté a regressé. Mais d’après cet économiste, une baisse par deux du taux de pauvre au niveau mondial, et une baisse de 30% en chiffre absolu, c’est égal à rien. -30%=0%. -400millions=0. Il ne sait même pas compter et il est économiste. Magnifique.

« Partout, l’explication est la même : la croissance ou l’absence de croissance. » L’expérience de la Chine – et dans une moindre mesure de l’Inde – suggère que les réformes économiques, l’initiative privée et les mécanismes de marché, l’ouverture des marchés et la compétition peuvent créer un climat favorable à une croissance soutenue, dit-il. Cette croissance a, en retour, lancé un processus de réduction de la pauvreté. Toute la question est de savoir si le modèle chinois est exportable

Et l’explication de la croissance, c’est quoi ? La croissance c’est encore un truc qui tombe du ciel ? Une variable « exogène » dans les beaux modèles de la Banque Mondiale ? Non, la croissance c’est la liberté économique, la croissance c’est le capitalisme. Voilà la malédiction de l’Afrique: le capitalisme n’y existe pas. Evidemment que le « modèle » chinois y est exportable, à moins de croire que les Africains sont des sous-hommes, culturellement ou intellectuellement incapables de prendre des décisions au niveau individuel.