Abolition des privilèges

A Strasbourg, la droite fait son premier faux pas antilibéral en amplifiant encore le régime des privilèges que s’accordent les politiciens à eux-mêmes. Désormais, par la grâce de la nouvelle municipalité les députés européens et leurs assistants « pourront accéder librement à la totalité du réseau bus et tram de la CTS. Et ils disposeront d’un espace réservé en salle de départ de l’aéroport de Strasbourg-Entzheim (…). Le financement de ces mesures entrera dans le partenariat associant la Ville et le département. »
(Dernières Nouvelles d’Alsace du 15 mai 2001). Au delà du fait qu’il est humiliant pour les Strasbourgeois de voir que leurs édiles se mettent à ramper de la sorte devant les institutions européennes, il y a toute une conception de la politique et de la circulation urbaine qui s’exprime dans cette décision. Venant d’une municipalité de droite on est doublement étonné. D’une part cette mesure ne rompt pas avec la politique de transport collectiviste qui a été l’idéologie de la municipalité socialiste sortante et d’autre part elle s’inscrit dans la triste tradition des régimes nomenklaturistes communistes.

Cette mesure prise par Fabienne KELLER visait probablement à augmenter l’ « indice d’européanophilie » de la ville de Strabourg (nous savons que les technocrates se fondent sur des statistiques qui intègrent toute sorte de données de ce genre pour justifier ou non le choix d’une ville d’accueil des institutions européennes). Mais au lieu de lorgner sur les effets finalement aléatoires d’une telle décision, il eût été plus judicieux (en particulier de la part des élus « libéraux ») de réfléchir d’une part au coût politique d’une mesurette légitimement très impopulaire (et jugée inutile même par un assistant parlementaire français et socialiste avec lequel j’ai pu m’entretenir) et surtout de s’abstenir de donner le signal que la politique de circulation urbaine à Strasbourg est en passe de devenir encore plus antilibérale qu’avant.
Lorsque Pascal SALIN est venu à Strasbourg, invité par le Cercle HAYEK, nous avons échangé quelques mots sur la collectivisation des transports urbains à Strasbourg durant l’ère Trautmann. Nous nous bercions un peu d’illusions en pensant que cela changerait avec l’improbable (mais heureusement effective) victoire de la droite aux élections municipales.
Certes cela devait changer. En fait, ce qui se produit à Strasbourg a été prévu par Pascal SALIN dans son excellent ouvrage (Libéralisme, éditions Odile Jacob, 2000). Prévu parce que cela résulte logiquement d’une politique collectiviste qui engendre la pénurie. Je me permets de le citer. « Tout le monde sait bien, au fond, écrit SALIN, que le rationnement par les queues remplace le rationnement par les prix lorsque la demande est trop forte par rapport à l’offre (ou l’offre trop faible par rapport à la demande). Les queues dans les anciens magasins soviétiques sont un exemple connu. Dans ce cas, certains privilégiés échappent aux queues grâce aux magasins réservés à la nomenklatura. La circulation urbaine relève du modèle soviétique: elle a ses queues – les embouteillages – et elle a ses privilégiés, à savoir les transports collectifs, mais aussi la nomenklatura qui peut arrêter la circulation du peuple automobile à grand renfort de gyrophares. » (p.268)
A Strabourg, on vient de franchir une étape en instituant carrément les passe-droits. On attendait plutôt l’ abolition des privilèges des transports collectivistes et une gestion plus libérale des affaires publiques selon le principe: les usagers sont seuls payeurs. Les espaces réservés aux bus? Niet ! Concurrence ! Les privilèges accordés aux parlementaires ? Ces derniers ne les paient même pas: « Le financement de ces mesures entrera dans le partenariat associant la Ville et le département. » Bravo la droite alsacienne ! Ce que les socialistes n’osaient pas faire, elle l’a fait.