Des pauvres en pagaille

J’ouvre 20 Minutes du Lundi 6 décembre et j’y lis encore une fois tout un tas d’horreurs sur la pauvreté, que je croyais réservé au pays du néo-libéralisme triomphant et aux pays ex-communistes ayant depuis sombrés dans le tout-marché… je déchante! Sur une double page s’étalent la réalité française, témoignages à la clé:

Dans l’entrepôt des Restos, la file d’attente pour les inscriptions ne cesse de s’allonger. Depuis une semaine, plusieurs centaines de personnes accourent pour être enregistrées en vue de la distribution de colis alimentaires

En France. Pas au Guatemala après un tremblement de terre. Pas au Bangladesh après les inondations. Pas au Congo entre deux massacres. En France.

Dans les rangs, Dominique, à la retraite, vient s’inscrire pour la première fois, la gorge serrée. « J’ai travaillé toute ma vie, mon mari aussi, mais comme il était artisan, il n’a pas de retraite. Nous vivons avec 525 euros par mois, je ne comprends pas qu’on soit tombés aussi bas. Avant c’était moi qui donnais aux Restos »

Ce brave homme a payé des cotisations sociales, croyant peut-être qu’il constituait une épargne (des « points » retraite, dont on a le décompte en fin d’année…). Peut-être la faiblesse de ses revenus combinée aux cotisations sociales l’a empêché d’investir et de se constituer une épargne. Toujours est-il que lui a cotisé, d’autres ont profité, et que maintenant le voilà sans rien. C’est la France égalitaire, où certains partent à 50 ans et d’autres font la queue aux Restos du Coeur. Bien sûr je ne vais pas prétendre que si chaque personne pouvait choisir de gérer sa retraite comme il l’entend tout le monde aurait une belle retraite dorée… non, certes non, car il y a toujours des irresponsables, des accidents, des catastrophes boursières, des imprudents, mais au moins on ne demandera plus à l’artisan de financer la retraite de l’inspecteur des impôts, et avec les économies sur les cotisations il pourra mettre de côté, et n’aura que lui à blâmer dans le cas contraire…

Pour Sinjh, marié et père de deux enfants, les colis seront une aide pour passer l’hiver. « Nous sommes arrivés d’Inde il y a quatre ans, nous savions que ce serait dur »

Arrivé dans un pays où le salaire minimum est tellement élevé, où la flexibilité du travail n’existe que dans le vocabulaire syndical, ce pauvre Sinjh est toujours, heh, pauvre 4 années après son arrivée en France. Combien sont-ils dans ce même cas, débarqués d’Afrique il y a 20 ans ? Comment s’intégrer économiquement (prélude à une intégration tout court) dans de telles conditions ? Je suis persuadé que Sinjh préfèrerait bosser, mais combien ont abdiqué et s’accomodent de l’aide sociale, privée et publique ?

« On voit beaucoup de personnes âgées depuis l’année dernière, ajoute Jacques […]. Des familles des pays de l’Est, aussi. Avant c’était surtout des SDF.

Les personnes âgées ? Faut prévenir les Restos du coeur: d’ici 20 ans ce sera leur principale « clientèle » hélas. Les familles de pays de l’Est ? Problème d’un pays figé, où les immigrés n’ont pas leur place. Notez tout de même l’évolution: les SDF sont un problème résiduel, quasi « normal » dans toute société: il y en a, inadaptés dépressifs, ermites, alcoolos, brisés. Maintenant ce sont les vieux et les immgrés. Déjà des SMICards y vont (même si l’article ne le mentionne pas) avec des familles un peu larges, des chômeurs en fin de droit, les femmes seules… Demain qui ira ? L’étudiant qui n’a plus rien à bouffer ? Quelques pages plus loin, je lis d’ailleurs ces mots du président des Restos du Coeur, Olivier Berthe: « la précarité a progressé. Les carences alimentaires les plus graves ont disparu, mais la pauvreté, elle, s’est développée« , et l’article ajoute que l’an dernier les demandes ont augmenté de 10%… comme le nombre de RMIstes sur l’ensemble de la France d’ailleurs.

La société française s’appauvrit. Dans ce genre de processus ce sont d’abord les catégories fragilisés qui trinquent. Puis au fur et à mesure tout le monde se découvre vulnérable. La société française s’effrite. Toutes les politiques gouvernementales n’y ont rien changé, et ont même aggravé les problèmes: en matière de retraite, de santé, de logement, de chômage. Pénurie de logement, de docteurs, de boulot, retraites de misère. Une société qui ne crée pas de richesse est condamnée à mourir. Et l’agonie est longue et douloureuse.