En 123 ans, le monde a-t-il changé dans le sens que laissaient présager les libéraux, alors au début de la période, ou bien dans le sens qu’ont tenté de lui donner en permanence, par la suite, les non libéraux ?
Force est de constater que le sens dans lequel le monde a changé au XXè siècle n’est pas celui que les non libéraux ont tenté de lui donner, moyennant un coût incommensurable supporté par chaque être humain et lié aux destructions pharaoniques qu’ils lui ont infligées, mais le sens qu’avaient subodoré les libéraux, une fois leur découverte des principes de la réalité comprise.
Et on ne peut que s’étonner qu’en dépit de tout cela, les non libéraux aient encore une « opinion publique » majoritaire avec eux.
Avec la nouvelle année, tous les espoirs sont néanmoins permis : aussi, je souhaiterais pour ma part qu’il y ait enfin en 2005 un basculement et que l’opinion publique majoritaire devienne libérale.
Il y a 123 ans, on pouvait lire dans Le Journal des Economistes sous la plume de Gustave de Molinari, les lignes qui suivent :
Année 1881.
« L’année qui [se termine] a été marquée par divers événements importants, au point de vue de la transformation progressive de l’industrie et du développement des relations Â… du monde. L’asservissement des grandes forces de la nature à la satisfaction des besoins de l’homme, la création d’un nouvel outillage, d’une puissance extraordinaire, qui exonère la multitude de l’écrasant et abrutissant fardeau du labeur matériel, en réservant l’ouvrier les fonctions productives qui exigent le concours de l’intelligence et en élevant par là même la valeur de son travail, resteront, n’en déplaise aux grands hommes attardés de la politique et de la guerre, les oeuvres solides et durable de notre siècle. Les noms des artisans de conquêtes et de révolution seront oubliés, ou tout au moins ne laisseront que le souvenir d’une activité bruyante et néfaste. On n’oubliera point les hommes qui ont consacré leur vie à l’amélioration du sort de leurs semblables, soit en perfectionnant le matériel de la production, soit en travaillant à rapprocher les différents membres de la grande famille humaine, et à établir entre eux une pacifique et féconde communauté d’intérêts.
L’application de l’électricité au transport de la pensée date à peine d’un demi-siècle, et déjà le réseau des communications télégraphiques enveloppe le globe entier, en resserrant chaque jour ses mailles, en sorte que nous pouvons avoir des nouvelles de la santé de nos parents ou de nos amis et de l’état du marché de San Francisco ou de Calcutta en moins de temps que nous n’en recevions autrefois de Fontainebleau ou de Versailles. Les applications de l’électricité au transport du son, de la lumière et de la force ne seront, selon toute apparence, guère moins féconde en merveilles utiles. Qui sait si la puissance des marées de l’Océan ne sera pas mise quelque jour au service de l’industrie et transportée jusqu’au centre de notre continent ?
Qui sait si les « forces perdues », en comparaison desquelles les forces utilisées ne forment encore qu’une fraction infinitésimale ne seront pas successivement captées, asservies et employées économiquement à multiplier la richesse au profit de toutes les classes de la société, et en particulier de celle qui a été jusqu’à présent le moins favorisée dans la distribution des biens de ce monde ? Voilà les conquêtes qui seront la véritable gloire de notre temps et qui feront du XIXè siècle une époque de l’histoire de l’humanité.
Malheureusement, les arts qui dérivent des sciences morales et politiques sont loin de réaliser des progrès analogues à ceux des industries qui procèdent des sciences physiques et naturelles. Les institutions politiques et économiques se modifient sans doute, mais est-ce toujours dans le sens du progrès ?
Dans ce demi-siècle qui a vu naître la locomotion à la vapeur avec la télégraphie électrique, se multiplier les valeurs mobilières qui font descendre la propriété jusque dans les couches les plus basses de la société, et décupler le commerce international,
les guerres et les révolutions ont plus que jamais troublé et ralenti le développement de la richesse, tout en ravivant les inimitiés nationales et les haines de classes.
A mesure que la science et l’industrie rapprochaient les nations, une politique d’un autre âge s’appliquait à les diviser davantage. Au lieu de désarmer, les peuples de notre continent ont augmenté successivement leurs effectifs en se laissant imposer le service militaire universel, et toutes les frontières, ouvertes par les chemins de fer, se sont garnies de forteresses et de camps retranchés.
D’un autre côté, à mesure que le progrès des moyens de communication favorisait l’accroissement des relations commerciales, l’esprit de monopole s’efforçait de neutraliser ce progrès en maintenant et même en exhaussant les barrières douanières.
A mesure enfin que le développement de la concurrence entamait les monopoles intérieurs, en rendant inutile l’intervention du gouvernement pour protéger le consommateur, et que la création d’entreprises colossales par l’association de capitaux, en coupures à la portée des plus modestes épargnes, attestait la puissance croissante de l’industrie privée, les gouvernements s’efforçaient à l’envi d’empiéter surle domaine légitime de l’activité individuelle ou de l’association libre, et d’entraver par une réglementation suranée l’action bienfaisante de la concurrence.
C’est en Allemagne [Â…][on retiendra que Bismarck veut placer sous la dépendance directe ou indirecte de l’Etat toutes les classes de la société, soit en réduisant leurs membres à la condition de fonctionnaires, soit en les protégeant d’une manière ou d’une autre : a été mise à l’ordre du jour l’institution par l’Etat d’une assurance obligatoire contre les accidents et les maladies][Â…]
En Russie [Â…][on retiendra qu’il y a eu émancipation des serfs du monopole seigneurial, mais sous prétexte de les rendre propriétaires, on les a rendus serfs de la commune et de l’administration, on n’a pas manqué de rendre la liberté responsable des crimes des nihilistes, il est admis que les erreurs du gouvernement dans toutes les réformes entreprises sont à imputer à l’opinion publique, cette maîtresse ignorante et infatuée de son ignorance][Â…].
L’Angleterre [Â…][on retiendra qu’il y a le retour offensif du protectionnisme sous le pseudonyme de fair trade [en Français 2004, « commerce équitable »] – et que les hommes de l’Etat succombent à la tentation d’attribuer à l’Etat, partant à eux-mêmes, le rôle de Providence : il a confisqué le télégraphe qu’il a annexé au monopole postal, il intervient de plus en plus dans l’industrie de l’enseignement pour ne pas parler du Land act qu’il a décidé d’appliquer en Irlande][Â…]
En France [Â…][on retiendra la protection de la marine marchande par le nouveau tarif général des douanes ; sous le prétexte de simplifier le travail de la douane et d’éviter la fraude, on a transformé les droits à la valeur en droits au poids ; les traités de commerce ont remis à l’ordre du jour le sophisme de la réciprocité que Bastiat se flattait d’avoir démoli ; nous avons copié la politique économique de Bismarck]Â… Aux Etats-Unis, l’industrie privée a construit et mis en exploitation, dans le courant de l’année 1881, plus de 12000 kilomètres de chemin de fer, près de la moitié de notre réseau en exploitation. Pourquoi l’industrie libre ne se montrerait-elle pas en France aussi active et aussi féconde ? Nous ne manquons pas d’esprit d’entreprise, et la France est au premier rang des producteurs de capitaux. Qu’en fait-elle ? Elle est réduite à en chercher l’emploi à l’étranger; ou à les livrer à la spéculation, au risque d’aboutir à un Krach. « Verrait-on, dit un écrivain spécial, M. Alfred Neymarck, autant de capitalistes, autant d’industries et de commerçants s’adonner aux opérations de bourse s’ils trouvaient dans de bonnes entreprises l’emploi régulier et fructueux de leurs fonds? ».[Â…]
L’émigration aux Etats-Unis qui s’était ralentie à la suite de la crise de 1873 a repris une nouvelle activité… Ce flot d’émigrants ne manquera pas de grossir encore lorsque l’esprit d’entreprise et les capitaux interviendront suffisamment pour faciliter l’émigration, aujourd’hui presque abandonnée à elle-même.
Alors qui sait ? Peut-être les gouvernements de la vieille Europe commenceront-ils à comprendre la nécessité de retenir une clientèle qui leur échappe, en lui rendant de meilleurs services et en les faisant payer moins cher […].
L’histoire de la science [Molinari ne fait pas de différence entre science et science économique] [Â…]pendant ces quarante dernières années [1841-81][Â…] des attaques incessantes auxquelles la tradition des fondateurs de la science a été en butte de la part de ces « monopoleurs furieux » dont parlait Adam Smith, qu’elle dérangeait dans leur exploitation malfaisante, ou bien encore de la part de ces utopistes non moins furibonds, socialistes, communistes, collectivistes, anarchistes, nihilistes, dont elle démolissait impitoyablement les théories creuses.
Dans cette double lutte que les économistes ont soutenue, qu’ils soutiennent encore sans paix ni trêve, ils n’ont jamais eu, sauf en Angleterre dans la lutte contre les lois céréales, la faveur publique. Tout en inspirant une méfiance invincible aux intérêts conservateurs qu’ils défendaient contre le socialisme, mais ne leur pardonnaient point leur goût pour la liberté, les économistes étaient signalés par les socialistes comme des serviteurs à gage du « capitalisme » et des malthusiens sans entrailles : pour les conservateurs protectionnistes et gouvernementalistes, l’économie politique était la plus ennuyeuse et peut-être la plus commode des littératures ; pour les socialistes cette « science officielle » préposée à la défense de la « vieille société » était infailliblement destinée à périr avec elle. Faut-il s’étonner si cette impopularité de la science, telle qu’elle est sortie des mains des fondateurs, a suggéré à quelques-uns de ceux qui s’attribuaient les titres nécessaires pour leur succéder l’idée de réformer leurs doctrines et de les approprier au goût du jour ?
Les uns s’évertuaient à réconcilier l’économie politique avec le socialisme, en faisant bon marché de la propriété et de la concurrence, les autres s’appliquaient à lui donner les allures d’une science d’Etat, en la subordonnant à la politique. Une école dite des socialistes de la chaire, combinant ces deux tendances, a entrepris de réhabiliter la tutelle de l’Etat, et de confier au gouvernement la mission de résoudre la « question sociale ». Cette école a fait, comme chacun sait, de nombreux prosélytes en Allemagne, où elle tient, en ce moment, le haut du pavé [Â…]
[Mais l’économie politique n’est pas une science arrêtée et fermée, ni même à refaire.]
La société est naturellement organisée et cette organisation, dont les inventeurs de « systèmes » ignorent ou méconnaissent les lois, va se développant. Le meilleur service que les gouvernements puissent rendre à la cause du progrès est d’abandonner les intérêts à eux-mêmes, en se bornant à garantir, au meilleur marché possible, la sécurité des personnes et des propriétés, et en s’abstenant d’entraver la liberté. Au besoin, l’expérience de ces quarante années -1841-81 – marquées par tant de découvertes et d’inventions qui sont en train de changer la face du monde, ne viendrait-elle pas apporter une confirmation éclatante à ces vérités mises au jour par les maîtres de la science ? N’est-ce pas dans les pays où la sécurité des personnes et des choses est le mieux garantie, où le travail, l’association, le crédit et l’échange son le moins chargés d’entraves qu’on voit surtout la richesse se multiplier, le fardeau du travail matériel s’alléger et le bien–être se répandre jusque dans les couches les plus basses de la société ? Nous n’avons donc rien à changer à notre programme. N’en déplaise aux socialistes de la chaire ou des clubs, il continuera de se résumer dans cette devise des économistes du XVIIIè siècle : Laissez faire, laissez passer. »
(Fin du texte de Gustave de Molinari écrit, je le répète, en janvier 1882 dans Le Journal des Economistes pour faire le point sur l’année 1881).
123 annnées plus tard, cher lecteur de La Page Libérale, vous pouvez remarquer que ce texte est d’une actualité brûlante, tant par les phénomènes scientifiques évoqués qui n’ont jamais cessé d’être approfondis (nous sommes à l’aube de l’UMTS et autre CDMA permettant de recevoir internet et télévision sur un téléphone portable) ou les imaginés par Molinari qui ont été réalisés (comme, par exemple, l’usine marée motrice de la Rance) que par l’attitude bovine des hommes de l’Etat qui n’a pas changé d’un iota, même si le vocabulaire qu’ils emploient est parfois différent: c’est l’Etat-providence, le commerce équitable, l’égalité des chances, le développement durable qui ponctuent leurs propos.
Ce texte de Molinari est tout simplement révélateur du bien fondé des principes des libéraux que, par tous les moyens, mêmes les pires (l’intimidation ou le chantage, voire l’assassinat), les non libéraux, c’est-à -dire les socialo-communistes de tous poils, continuent inexorablement, dans le meilleur des cas, à chercher à faire ignorer. Dans le pire, ils inculquent à la place leurs faux principes catastrophiques.
Simple autodidacte je n’ai pas le bagage théorique nécessaire pour étayer mes propos, je pourrais simplement souligner qu’à mon avis la prétention des libéraux n’est pas de changer le monde mais de laisser court à une évolution naturelle, dans ce cadre la notion de progrès semble s’affaiblir parce qu’elle sous-tend une interprétation globale de la nature, interprétation qui présupposerait du principe de finitude de ce monde, j’estime ce principe contraire à la philosophie libérale tout simplement parce que cette dernière se réduit à une analyse empirique du monde.
Les libéraux n’ont pas à instrumentaliser le « progrès scientifique » ils tombent là dans le travers des « penseurs sociaux »(appellation maladroite), ou pis dans celui du mainstream médiatique, ils tombent là dans l’éceuil du bricolage intellectuelle ce qu’on appelle de façon réverencieuse les idéologies. La tentation de l’homo sapiens est en effet de « sauver les apparences » quand il entreprend l’interprétation des signes extérieurs, c’est à dire d’appliquer des principes qui lui son propre à l’analyse du monde. Il me semblait que le libéralisme rompait alors avec cet usage, qu’il substituait à l’idée d’homo novus une éthique basé sur la responsabilité individuelle.
Là où la supériorité du libéralisme s’impose, en réalité, c’est sur le refus de préceder la volonté humaine mais plutot de l’admettre par omission de principes métaphysiques non pas par ce qu’ils sont faux dans l’absolu mais parce qu’ils ne permettent pas le fondement d’une base pour la construction d’une quelconque cité idéale, il rompt avec la tentation totalitaire qui a été celle de tout nos grands esprits il en fait une chimère pour littérateurs et s’impose en tant qu’unique matérialisme cohérent.
« L’émigration aux Etats-Unis qui s’était ralentie à la suite de la crise de 1873 a repris une nouvelle activité (…)Alors qui sait ? Peut-être les gouvernements de la vieille Europe commenceront-ils à comprendre la nécessité de retenir une clientèle qui leur échappe, en lui rendant de meilleurs services et en les faisant payer moins cher [Â…]. »
123 ans plus tard, alors que les plus productifs et les plus inventifs continuent de s’expatrier (ou d’expatrier leurs capitaux), nos gouvernements n’ont malheureusement toujours pas compris. Pas plus que Sarkozy, entre parentheses, qui fustigeait il y a peu les « cerveaux expatries ».