Questions à Pascal Salin

« Il faut voter « non » � cette Constitution. » Pascal Salin

Petit entretien avec Pascal Salin… Marc Grunert: Selon vous, professeur Salin, le traité constitutionnel soumis au référendum en France est-il un progrès ? Y voyez-vous des dangers ? De bonnes choses ?

Pascal Salin: La manière dont vous posez le problème de la Constitution européenne me semble être la bonne. En effet, il existe déj� ce qu’on appelle parfois un « acquis communautaire », avec ce qu’il a de bon (la concurrence accrue et la déréglementation de beaucoup d’activités) et ce qu’il a de mauvais (les tendances � la centralisation, la politisation des problèmes, les politiques communes, les directives bureaucratiques, etcÂ…) et il faut donc se demander ce que le projet de Constitution européenne ajoute � cela. Or, si l’on peut se réjouir d’y trouver une réaffirmation des droits individuels traditionnels, on doit regretter que la Constitution y ajoute des « droits sociaux » ou droits positifs : ces « droits � » (par opposition aux « droits de ») signifient en effet que l’autorité étatique utilise la contrainte publique pour donner � des citoyens des droits sur les autres. Ces droits sont incompatibles avec les droits traditionnels et ils les mettent donc en danger.

M.G.: Vous écriviez dans votre livre, Libéralisme, que deux logiques d’intégration des nations s’opposent, l’intégration par la concurrence et l’intégration politique forcée. Quelle logique le traité constitutionnel favorise-t-il le plus selon vous ? Allons-nous vers un super-Etat européen ?

P.S.: La Constitution européenne est ambiguë, elle se refuse � trancher entre des deux logiques. Mais ce qui est le plus fragile et le plus précieux c’est le maintien de la concurrence et de la liberté d’agir. Or, l� où l’intégration politique avance l’intégration économique par la concurrence recule. C’est pourquoi cette Constitution crée effectivement le risque d’émergence d’un super-Etat européen .

M.G.: L’ouverture du marché � la concurrence s’accompagne manifestement d’une demande de protection par les producteurs bien organisés et relayés par les médias, sur le dos des consommateurs. On le voit dans le domaine du textile aujourd’hui. Il y a une véritable compétition entre partisans du « oui » et du « non » au référendum pour savoir quelle est l’instance politique la plus apte � imposer le protectionnisme. Une mauvaise politique imposée uniformément � l’échelle européenne n’est-ce pas l� le risque principal de cette construction politique européenne ?

P.S.: Bien sûr, ce risque existe, mais il est difficile de prévoir l’issue de négociations entre de nombreux Etats plus ou moins protectionnistes. On peut en tout cas compter sur la France pour essayer toujours de faire accepter de mauvaises politiques – par exemple des politiques protectionnistes – par l’Union européenne. De ce point de vue on peut tout de même espérer que l’Europe – sous la pression de la Grande-Bretagne et d’un bon nombre de pays anciennement communistes – soit un peu moins protectionniste que la France ne l’aurait été isolément. Mais dans l’absolu il serait préférable pour les consommateurs français que leurs gouvernements aient décidé de s’interdire toute politique protectionniste � l’égard de tous les pays du monde plutôt que d’appartenir � une union européenne. Cette dernière a précisément pour rôle, dans l’esprit de beaucoup, de mettre en place des « marchés organisés » sans lesquels, dit-on � tort, la liberté des échanges ne serait pas possible. Mais c’est dire aussi que, malheureusement, l’on considère a contrario qu’il est légitime de se protéger des producteurs situés dans des pays dont les marchés ne sont pas « organisés ».

M.G.: Finalement, ne faut-il pas craindre pour la liberté individuelle, les droits fondamentaux de l’individu ?

P.S.: C’est évidemment le grand risque et c’est pourquoi il faut voter « non » � cette Constitution. La Constitution la plus remarquable est sans conteste celle des Etats-Unis. Elle avait été conçue de manière � protéger les droits indviduels. Mais, un peu plus de deux cent ans plus tard, on est bien loin de cet objectif initial ! Or l’Europe ne commence pas avec une Constitution de type américain, mais elle se place d’emblée dans une situation d’interventionnisme étatique très poussé. Compte tenu de la tentation constante des Etats � envahir le domaine des citoyens, on ne peut qu’être inquiet en face d’une Constitution qui permet de grandes dérives de type social-démocrate.