Premières erreurs étatiques de 2006.

Le dimanche 8 janvier 2006, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en exercice a avancé sur la radio « Europe 1 » (« forum » du dimanche soir) que la croissance de l’économie française se ferait en 2006 à un taux de l’ordre de 2%, 2,5%.
Il a aussi déclaré que « les Français épargnent trop ».
Voilà des erreurs de nature différente qui méritent commentaires.

Le ministre a donc avancé que la croissance de l’économie française se ferait en 2006 à un taux de l’ordre de 2%, 2,5%.
Laissons de côté la taille de l’intervalle de confiance donnée, de l’ordre de plus ou moins 10% par rapport au point médian. Sacrée marge d’erreur néanmoins quand on l’exprime en termes de milliards d’euros (7 milliards d’euros) ! Comment oser la donner sans sourire intérieurement !
Plus intéressant : s’agit-il de la croissance définie sur la base du PIB « marchand » – indicatrice de la croissance effective – ou sur celle du PIB global (incluant les dépenses de l’Etat) – indicatrice d’une croissance maquillée – ? Les journalistes n’ont pas cru bon ou n’ont pas pris la peine de lui demander de préciser. Il faut s’en formaliser.
Mais en définitive, peu importe : toute prévision ou prédiction de ce genre est d’une grande absurdité. Et attirer l’attention sur son cas est au minimum une erreur.

Beaucoup plus important, le ministre a déclaré que « les Français épargnent trop » et ce propos n’a pas interloqué les questionneurs. Pourtant, le propos n’a pas de sens dans la réalité économique et les auditeurs qui, comme moi, l’ont entendu ne doivent pas s’en vouloir s’ils ne l’ont pas compris: il n’y a rien à comprendre.
Soyons exact, le propos n’a pas de sens sauf à se situer dans le cadre de la théorie générale de Keynes (1936) complétée ou non par les développements de ses thuriféraires. Dans ce cadre théorique, il revient à dire que « les Français ne consomment pas assez », antienne socialo-communiste. D’où la volonté du ministre annoncée dans la foulée, dans la suite de l’entretien, de multiplier les périodes de solde ! Nouvelle mission des préfets: déclarer des périodes de solde ! Merveilleux, non ?

Mais, soulignons en passant que dans ce cadre théorique, on fait abstraction du droit de propriété, de la responsabilité et de la liberté d’échange des êtres humains, ainsi que de leurs patrimoines. On peut ainsi gloser en toute incohérence sur des variations de la fiscalité et sur leur incidence sur l' »Ã©quilibre économique ».

Ah Keynes ! Faut-il rappeler qu’il y a exactement soixante dix ans, 1936, Lord John Maynard Keynes a publié un livre intitulé « Théorie de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » qui allait devenir le bréviaire des dirigistes de tout poil, républicains sociaux ou non, démocrates sociaux, sociaux démocrates ou même socialo-communistes.

Grande originalité du livre si on peut dire, il faisait état, comme hypothèse, d’une loi psychologique selon quoi  » Lorsque l’emploi augmente, la dépense de consommation D1 augmente aussi, mais non du même montant que la demande effective D ; car, lorsque le revenu croît, la consommation croit aussi, mais dans une mesure moindre. La clé de notre problème pratique réside dans cette loi psychologique« . En d’autres termes, « La loi Psychologique fondamentale sur laquelle nous pouvons nous appuyer en toute sécurité, à la fois a priori en raison de notre connaissance de la nature humaine et a posteriori en raison des renseignements détaillés de l’expérience, c’est qu’en moyenne et la plupart du temps les hommes tendent à accroître leur consommation à mesure que leur revenu croît, mais non d’une quantité aussi grande que l’accroissement du revenu. »

De cette hypothèse et d’autres moins originales, Keynes va déduire toute sa pharmacopée (pour reprendre le mot que Jacques Rueff a utilisé en février 1976) et ses prosélytes vont l’agrémenter jusqu’à aujourd’hui inclus, jusqu’en France et, en particulier, au ministère de l’économie, des finances, etc.
Le propos du Ministre aurait un début de sens si cette loi psychologique était une loi de la réalité économique. Mais il n’en est rien malgré ce que Keynes osait écrire (sa prétendue connaissance de la nature humaine, les renseignements détaillés de l’expérience). C’est donc une erreur d’y faire référence, même implicitement.

Faut-il rappeler que le livre se voulait, d’une part, une condamnation rationnelle de la loi de J.B. Say selon quoi les produits s’échangent contre des produits.(1) En effet d’après Keynes, « Selon la théorie classique d’après laquelle pour toute valeur de N la demande globale D est égale à l’offre globale [lettre grecque](N), le volume de l’emploi est en équilibre indifférent pour toute valeur de N inférieure à sa valeur maximum; on peut donc supposer que le jeu de la concurrence entre les entrepreneurs porte le volume de l’emploi à cette valeur maximum. C’est seulement à ce point qu’il peut y avoir selon la théorie classique un équilibre stable. »

D’autre part, le livre se voulait la solution à l’obstacle qu’aurait constitué cette fausse loi économique. Bien évidemment, le livre ne faisait pas allusion à la loi de Frédéric Bastiat (1850) qui généralisait la loi de Say et selon quoi les services s’échangent contre des services. Il ne faisait pas non plus référence à Vilfredo Pareto. Le niveau de connaissances scientifiques de Keynes dans le domaine économique est d’ailleurs à certains passages du livre indigne de celui d’un étudiant de licence de sciences économiques. Il l’est tant qu’en 1937, face au tollé que le livre suscitait de la part de certains économistes, il s’est senti obligé d’écrire un article dans l’Economic Journal intitulé « Théorie de l’emploi ».

En France, il n’y a guère eu de tollé. Il faudra attendre 1947 pour qu’il y ait une vaguelette dénonçant les erreurs. En effet, dix ans donc après la réaction de Keynes, Jacques Rueff a écrit un article intitulé « Les erreurs de la théorie générale de lord Keynes » dans la Revue d’économie politique de janvier-février (version anglaise: « The Fallacies of Lord Keynes’ General Theory », The Quarterly Journal of Economics, 61, mai 1947, pp.353-367).
Mais l’article restera lettre morte dans l’opinion française et surtout dans l’enseignement de la science économique en France, à commencer par celui de l’E.N.A..
James Tobin, le futur prix Nobel de sciences économiques, l’homme de la taxe éponyme, y répondit pourtant en 1948, Keynes étant mort en 1946.
Et Jacques Rueff réagit à cette réponse la même année dans un article intitulé « Reply [to James Tobin ‘s comment] », The Quarterly Journal of Economics, 62, novembre, pp. 771-782.
Tout cela restera lettre morte au point qu’à l’occasion du Centenaire de la naissance de Jacques Rueff (1996) qu’il désirait honorer, le Commissaire au Plan de l’époque n’a pas trouvé mieux que de demander une interview à James Tobin, de la faire filmer et d’infliger le résultat au public qui assistait à la commémoration.

A partir de 1976, d’autres vaguelettes dénonçant les erreurs sont apparues. Quarante ans donc après la publication de la TG, – c’était aussi il y a trente ans exactement -, Jacques Rueff écrivit un article dans le quotidien Le Monde intitulé « La fin de l’ère keynésienne » – les 19 et 20/21 février – confirmant tout le mal qu’il fallait penser de ce qu’avait produit le « magicien de Cambridge », dénomination dont il affublait Keynes, et anticipant à sa façon sur ce qui allait se produire en Angleterre avec Margaret Thatcher ou aux Etats-Unis avec Ronald Reagan à la fin de la décennie 1970.

Puis il y a eu en 1979 un article de Pascal Salin dans la revue Banque intitulé « Oublions Keynes ».

Et il y a actuellement un texte de Alain Madelin intitulé de façon voisine « Comment retrouver la croissance perdue – Oublions Keynes » sur le site internet des Cercles libéraux.

Mais de toutes les erreurs dénoncées de l’école de pensée économique keynésienne et à écouter ce qu’il a dit dimanche dernier, Monsieur le Ministre n’a cure. Dommage pour la France ! (1) Sowell, T. (1991), La loi de Say, Litec (coll. Liberalia, économie et liberté), Paris.