Dans le débat entre jusnaturalistes et minarchistes, je voudrais citer une attaque de Drieu Godefridi contre le statut du droit naturel et y répondre.
Rappelons que les jusnaturalistes pensent qu’il existe une théorie du droit universelle (applicable à chaque membre de toute société humaine, indépendamment du temps et du lieu) qui fournit un critère exhaustif de distinction entre l’acte juste et l’acte injuste, et compatible bien sûr avec la survie de l’humanité. Ce critère appelé « Droit naturel » est pour eux rationnellement démontrable et unique, c’est-à -dire que toute tentative de définir un autre critère serait inconsistante. Ce critère peut s’exprimer ainsi (« juste » signifiant « conforme au droit naturel »): Est juste (et n’est juste que) l’acte qui implique uniquement des moyens que l’acteur n’a pas volés.
Il faut préciser d’emblée que le texte de Drieu est ambigu en ce qu’il ne distingue pas – ou ne semble pas distinguer- l’éthique et la politique. Or par définition, c’est au domaine de la politique et à lui seul que se rattache le droit (autrement dit, la justice), et donc s’il existe, le droit naturel. Il est vrai malheureusement que les auteurs partisans du droit naturel manquent parfois de clarté sur ce point.
En effet, une théorie du droit doit fournir un critère de distinction entre les actes justes et les actes injustes (conforme ou non au droit), mais son objet n’est pas d’indiquer un choix entre les actes justes eux-mêmes, infiniment nombreux à tout instant. Ce serait le rôle de l’éthique de le faire. Métaphoriquement, la théorie du droit (la politique) indique les « règles du jeu » ; elle n’indique pas les « stratégies ».
Toute théorie du droit doit donc être éthiquement neutre, comme le sont dans leurs domaines respectifs, les mathématiques ou la théorie économique correctement formulée.
Qui dit éthiquement neutre dit exempt de jugement de valeurs. Toute théorie du droit qui introduirait des jugements de valeurs serait donc à rejeter d’emblée au mieux comme discours éthique, au pire comme verbiage sophistique destiné à brouiller les esprits.
Ainsi, puisque Drieu aborde dans son essai la question du droit naturel, il nous faut supposer obligatoirement qu’en employant le mot éthique ou tout autre concept s’y référant, il voulait en réalité parler de politique, c’est-à -dire de normes de droit exemptes de jugement de valeur (sinon son essai devrait être qualifié de hors sujet).
C’est à la lumière de ces considérations que nous allons maintenant mettre en évidence les failles figurant dans ses arguments contre le droit naturel.
1/ Dans sa critique de la conception du droit naturel selon Murray Rothbard, Drieu avance que « Faits et valeurs appartiennent à des registres logiques différents. De ce qui est, on ne peut jamais conclure à ce qui doit être ».
La théorie du droit naturel, cependant, ne s’occupe pas des valeurs, qui relèvent de l’éthique, et par conséquent cette approche est hors sujet.
Que cela ne nous empêche pas de souligner, entre parenthèses, que cette proposition est fausse : si on ne peut déduire ce qui doit être à partir de ce qui est, de quoi d’autre pourrait-on le déduire ? Toute déduction –en tant que déduction-, pour être indubitablement vraie et donc décrire la réalité –par définition du vrai- doit être déduite d’une prémisse elle-même vraie. Et une prémisse vraie est une prémisse qui décrit la réalité, qui donc relève d’un fait –un fait de la réalité, justement. Si donc « ce qui doit être » est valablement déduit de quelque chose, c’est forcément d’un fait –énoncé sous forme d’une proposition vraie. Ou alors, c’est que « ce qui doit être » ne peut jamais être déduit de rien, et donc ne peut jamais être connu, ce qui est une façon de dire qu’il n’existe ni valeurs, ni discussions sur les valeurs.
2/ Dans le paragraphe suivant consacré à Hans Hermann Hoppe, Drieu prétend que celui-ci échoue dans son argument fondé sur l’a priori de l’argumentation à démontrer la validité du droit naturel, parce que
« (…) nombre d’éthiques universelles peuvent être élaborées — et l’ont d’ailleurs été —, qui ne mèneraient nullement l’humanité à sa perte. »
Ici encore nous sommes confrontés à l’obligation de remplacer « éthiques » par « politiques » ou « théories du droit », sauf à rejeter l’affirmation comme hors sujet. Sa phrase ainsi reformulée serait donc :
« Nombre de théories du droit universelles peuvent être élaborées — et l’ont d’ailleurs été —, qui ne mèneraient nullement l’humanité à sa perte. »
Nous aimerions bien savoir lesquelles, et dans l’expectative, nous en sommes réduits à étudier le seul cas (fictif de surcroît) que nous soumet Drieu, et que j’appelle dans la suite la « théorie du 85-15 » :
« Par exemple, une éthique qui disposerait que chacun est propriétaire de soi et d’une partie de ce qu’il produit, mettons 85%, le reste allant à la communauté ».
A première vue, voilà effectivement quelque chose qui ressemble à une théorie du droit universelle, rivale donc de la théorie authentique du droit naturel. Mais un examen minutieux nous révèle qu’il n’en est rien. Il n’est pas inutile de s’appesantir dessus pour montrer le nombre d’obstacles qui surgissent lorsqu’on essaye de formuler ainsi, ex-nihilo, une théorie du droit.
Tout d’abord, on ne peut pas « mesurer » la production, chose pourtant nécessaire pour la partager en deux parties de 85% et 15%. Que veut dire « redistribuer 15% » d’une automobile, ou d’une consultation d’avocat ? Que signifie « redistribuer 15% » de la production d’un commerçant, qui consiste à déplacer un objet d’un lieu vers un autre ? Malgré toute la bonne volonté du monde, il n’y a pas de réponse à ces questions et la théorie du 85-15 s’écroule immédiatement sans autre forme de procès. Il suffit de considérer la nature de la production, qui est production d’information, pour comprendre d’emblée l’échec de toute tentative objective de redistribution –même volontaire- fondée sur des critères quantitatifs : couper en deux une information ne fait pas deux informations plus petites. Cela peut faire n’importe quoi, et en général rien du tout : l’information est purement et simplement détruite. Le problème ne se pose pas pour la théorie (authentique) du droit naturel, qui ne nécessite aucune hypothèse sur la nature de la valeur.
Bien que la théorie du 85-15 soit à ce stade réduite à néant, la psychologie nous enseigne qu’il peut être utile d’exhiber plusieurs preuves pour emporter l’adhésion, même si en toute logique une seule devrait suffire.
On peut donc tenter de contourner le problème en modifiant les termes de l’énoncé, par exemple en remplaçant « production » par « revenu tiré de la production ». C’est assez différent, dans le principe puisque le prix n’est pas la valeur, et dans l’assiette parce que la production non échangée n’apparaît plus dans le calcul. Mais d’autres problèmes surgissent. Il faut par exemple que le revenu en question soit monétaire, pour qu’il puisse être chiffré. Par conséquent, cette théorie du droit ne serait applicable qu’aux sociétés où existent des monnaies d’échange. Elle ne dit rien des autres types d’organisation. Elle n’est donc pas universelle.
Ensuite, à quel moment devrait-on donner 15% de ses revenus à la communauté ? Immédiatement après la production, même si celle-ci ne constitue qu’une étape en vue d’une production ultérieure ? Au bout d’un mois, au bout d’un an ? Et quel que soit le bien produit (quid du beurre qui se périme en cinq jours) ? La théorie ne contient pas les réponses à ces questions et est donc incomplète à cet égard aussi, même si on remplace « production » par « revenu ». C’est là le problème insoluble de toutes les théories du droit formulées en termes d’obligation d’agir: il faut bien que l’acte obligé ait lieu dans le temps, et il n’est pas possible rationnellement de décider quand. Donc à un instant donné, personne, même avec de la bonne volonté, ne peut savoir ce qu’il doit faire pour respecter le droit, ce qui prouve l’échec complet de la théorie. Rien de tel avec la théorie authentique du droit naturel, qui interdit de réaliser certains actes, car cet interdit s’applique en tout temps.
De plus, la théorie du 85-15 est complètement muette sur ce qu’est « la communauté ». Est-ce la famille du producteur, le village, le groupe de villages ? Est-ce sa famille intellectuelle (les libéraux par exemple) ? Sont-ce les gens de même sexe que lui, ou d’une même ethnie ? Sont-ce les gens qui portent des lunettes ? Qui aiment le boudin aux pommes ? Qui sont de sa catégorie socioprofessionnelle ? Il n’existe aucun moyen pour le donneur des 15% de déterminer le périmètre de la « communauté ». Ou bien alors la communauté serait le monde entier, et alors l’acte ne pourrait être juste que si l’intégralité de la communauté avait bien reçu son dû, ce qui serait évidemment hautement improbable, de sorte qu’il serait en réalité impossible ou au moins utopique de vivre selon la justice. Et cela, je le répète, même avec une volonté unanime d’appliquer le droit. Rien de tel avec la théorie authentique du droit naturel, laquelle n’implique aucune obligation mais seulement une interdiction à l’égard des autres (l’interdiction de les agresser).
Ce n’est pas tout : comment doivent être répartis les 15% au sein de la « communauté » ? Voilà ce que ne dit pas la théorie et qui est pourtant crucial, car le donneur ne sait pas ce qu’il doit faire pour respecter le droit.
Et même s’il le savait, il est impensable que le donneur puisse lui-même faire la répartition, car pour peu que la communauté soit assez importante, il y passerait tout son temps, et il n’y aurait bientôt plus aucun « revenu » disponible. Il faudrait donc qu’un ou des organismes spécialisés s’en chargent. Mais alors le caractère juste de l’acte serait conditionné par l’efficacité et l’honnêteté des organismes en question, et il ne serait en pratique jamais possible d’avoir la moindre certitude sur la nature juste ou injuste de son acte de don.
Il y aurait donc des cas où un tel organisme serait nécessaire pour la distribution des 15%, et cela afin que l’acte juste soit seulement possible. Mais que se passerait-il donc si personne ne souhaitait s’occuper de la gestion d’un tel organisme ? Il faudrait pourtant que justice soit faite : aurait-on le droit de forcer des gens à s’en occuper ? Ce serait contraire à la propriété de soi, ce qui prouve l’inconsistance de la théorie du 85-15.
Par-dessus le marché, ces organismes devraient être rémunérés, et compte tenu de la complexité de leur tâche, on ne peut écarter la possibilité que les coûts soient tels qu’ils appauvrissent considérablement les producteurs. Il se peut même que, dans une société donnée, il soit matériellement impossible de subsister après retrait des 15% et des honoraires de ces organismes. La théorie du droit en question pourrait donc entrer en contradiction avec la survie de la société humaine, même si chacun y mettait le maximum de sa bonne volonté, ce qui est évidemment une preuve de sa fausseté, comme c’est le cas de toutes les théories du droit qui introduisent des chiffres sans considération pour le contexte. Rien de tel pour la théorie authentique du droit qui n’introduit aucun chiffre. Enfin, si quelqu’un ne respectait pas le droit, s’il trichait et ne donnait par exemple que 10% voire rien à la « communauté », quel moyen y aurait-il pour cette communauté lésée de rétablir la justice ? La vérité est que ce serait impossible, parce que personne ne pourrait évaluer les revenus des autres autrement que par ce qu’ils veulent bien en dire. Et donc personne ne pourrait même savoir s’il a été lésé, et par qui.
On pourrait étaler ainsi à l’infini les questions insolubles auxquelles la théorie du 85-15 devrait néanmoins répondre pour être valable. En résumé, la théorie du droit citée en exemple par Drieu ne dit ni ce qu’il est juste de faire, ni quand, ni envers qui. Elle ne s’applique qu’à certains types d’organisations sociales et exige que des conditions extrêmement improbables soient réunies pour juger du caractère juste ou non d’un acte. Et on peut imaginer des cas où il n’y aurait aucun moyen imaginable de survivre en restant dans son cadre, même avec toute la bonne volonté de chacun. Enfin, les victimes de violations du droit ne pourraient jamais savoir qu’elles le sont, ni découvrir qui les lèse. Elle n’est pas universelle et ne fournit aucun critère systématique de distinction du juste et de l’injuste. Autant dire que ce n’est pas une théorie du droit du tout.
Finalement, même si cette objection n’est pas logiquement pertinente et relève plutôt de la psychologie, il n’y a absolument aucune chance de persuader quiconque que cette théorie du droit-là devrait être choisie entre toutes ses rivales possibles (qui sont par exemple, les répartitions 86%-14%, 87-13, 88-12, 79-21, etc.).
En revanche, la théorie authentique du droit naturel a de nombreux partisans, qui pour beaucoup ne se connaissent même pas et n’ont pas d’organisation centralisée, ce qui incite fortement à penser qu’elle ne doit pas être si arbitraire qu’on le dit.
Je passe sur les affirmations concernant les supposées contributions de Nietzsche à la constitution d’une théorie du droit rivale du droit naturel. Ces affirmations étant jusqu’à preuve du contraire purement arbitraires.
Sur la démonstration du droit naturel à partir de l’a priori de l’argumentation, il se trouve qu’elle est valable pour la raison suivante : que toute personne qui argumente contre le droit naturel se trouve dans une contradiction performative, parce que le fait d’argumenter implique une norme implicite de droit dont on peut dérouler les conséquences jusqu’à conclure qu’il s’agit en fait justement du droit naturel.
Ce n’est donc pas tant, comme le dit Drieu, que « Pour résumer : l’éthique suppose l’argumentation » (ce que je traduis toujours par « Pour résumer : la norme de droit suppose l’argumentation »). Peu importe. L’essentiel est que la réciproque est vraie: c’est l’argumentation qui suppose la norme de droit. En conséquence, Drieu, ayant argumenté au moins une fois dans sa vie, se trouve définitivement pris dans une contradiction performative chaque fois qu’il ouvre la bouche pour attaquer le droit naturel.
Puis vient l’argument suivant :
« Deux, l’argumentation suppose sans doute le contrôle d’une partie de mon corps et de l’espace où je me trouve, mais le contrôle n’est pas l’appropriation. Serai-je considéré comme le « légitime propriétaire » de tous les espaces où je me serai aventuré à causer avec autrui ? »
Il n’y a pourtant là aucune difficulté: le contrôle est appropriation dès lors qu’il n’y a pas eu d’appropriation préalable. C’est le fondement même de la propriété légitime.
Et pour finir :
« Trois, même si l’argumentation supposait la pleine propriété de mon corps et de l’espace que j’occupe, cela n’impliquerait pas l’appropriation des ressources sans maître que je trouve et transforme ».
Si, cela l’implique, à condition de ne pas passer sous silence les étapes intermédiaires du raisonnement, à savoir que le fait d’admettre le critère de la propriété légitime dans certains cas implique nécessairement la généralisation à tous les cas possibles, car le nier reviendrait à accepter la possibilité d’une autre norme d’appropriation légitime, laquelle serait nécessairement en contradiction avec la première dont on a montré qu’elle devait pourtant s’appliquer dans certains cas au moins. Ce qui suffit à prouver son caractère universel. Tout cela est très bien expliqué par Hoppe.
3/ A propos de la présentation du droit naturel que fait Barnett, Drieu nous dit qu’elle n’a « qu’un lointain rapport avec les canons du iusnaturalisme classique et moderne ». Nous n’en parlerons donc pas ici.
La conclusion de tout cela est simple : s’il est si facile de proposer un critère de justice rival du droit naturel, alors pourquoi se priver ? Après tout, il suffirait d’en exposer un seul pour que les jusnaturalistes aient définitivement tort. Comme par hasard, les tentatives de ce genre ont toutes échoué jusqu’à présent.
Le droit naturel est immanent. On ne peut penser le droit naturel qu’en rupture avec les transcendances théologiques : elles finissent toujours par se découvrir en réclamant leur dîme (90-10, Drieu Godefridi est plus généreux que le Clergé).
Cher Mickaël,
Merci d’avoir pris le temps de répondre à cette analyse des théories du droit naturel de Rothbard et Hoppe.
D’abord sur la distinction éthique / droit / politique, etc. Le mot éthique est ambivalent. Partons de la bonne vieille distinction aristotélicienne entre droit (positif) et morale : où se situe le droit naturel ? Clairement du côté de la morale. Le droit naturel est une question morale, et c’est d’ailleurs ainsi que l’envisagent et Rothbard – « Ethics of Liberty » – et Hoppe (voyez les passages cités dans Democracy …, p. 201). Ayant défini ce qui revient à l’homme de par sa nature d’homme (démarche iusnaturaliste classique), l’on circonscrit le champ des possibles du « législateur » (juges, parlement ou les deux). Il y a donc évidemment un rapport entre le droit naturel et le droit positif, mais le droit naturel est d’abord et avant tout une question morale.
Je ne suis pas positiviste. A choisir entre le positivisme et le iusnaturalisme, je me range clairement dans la famille iusnaturaliste. Toute la question est de savoir comment fonder le droit naturel. La démarche de Rothbard n’est pas neuve et a été réfutée cent fois (Hume, Kelsen, Hayek, etc.). Celle d’Hoppe est originale en cela qu’elle mobilise la structure de raisonnement de l’éthique de l’argumentation de Apel et Habermas. Outre qu’elle s’expose aux reproches adressés à l’éthique de l’argumentation, elle y va à la grosse louche en tentant de fonder sur la notion de contradiction performative rien moins que la totalité de la morale et du droit. Désolé, mais cela ne me semble pas sérieux.
La démarche d’Hayek me paraît plus convaincante. Il montre que l’évolution de la civilisation occidentale a sélectionné des pratiques et institutions plus efficaces (en terme de longévité, prospérité, etc.) et que l’ordre formé par ces règles de conduite doit être respecté si l’on veut continuer à en récolter les fruits. Mille critiques ont été adressée à cette théorie, et cela reste à n’en pas douter un grand chantier. Mais il me semble qu’il y a là une théorie originale et féconde qui permet d’échapper au positivisme sans verser dans un iusnaturalisme naîf et inopérant à la Rothbard ou Hoppe.
De plus, Hayek a le mérite, quant à lui, de proposer une théorie spécifique du droit. Il voit bien que la morale n’est pas le droit et que raisonner, dans le champ du droit, au départ de simples prémices morales abstraites n’a aucun sens (un point sur lequel Barnett le rejoint, d’ailleurs). Hayek, comme Bruno Leoni, constate que le droit doit naître de principes, certes, mais encore du fait et des vicissitudes de la réalité s’il veut réguler quoi que ce soit. D’où l’éloge du judge-made law (ou droit fait par les juristes, à la romaine), dans la lignée de Coke, Blackstone, Burke, du Common Law et du droit romain. Là encore, on peut ne pas être d’accord (encore que la théorie du droit de Hayek me semble nettement plus aboutie que sa théorie du droit naturel) : mais au moins est-il question d’une théorie du droit, que je ne trouve ni chez Rothbard, ni chez Hoppe.
Merci encore d’avoir pris la peine de me lire et de critiquer ce que j’ai écrit. Je poursuivrai volontiers ce débat avec vous si vous le souhaitez.
Bien à vous,
Drieu
Peut-on vraiment dire que « Le droit naturel est une question morale » ?
Ne peut-on pas plutôt affirmer que le droit naturel propose un ensemble de principes fondamentaux non arbitraires (c’est toute la démonstration de Mickaël) qui se traduisent, justement, en « pratiques et institutions plus efficaces » qui assurent la prospérité de tous les membres de la société ?
Autrement dit, la justification du DN est que, dès qu’on s’écarte des principes, on aboutit à une société moins « heureuse ». J’ai conscience de sombrer dans l’utilitarisme, mais ce faisant j’espère échapper, par pragmatisme, au « jusnaturalisme naîf et inopérant »…
La difficulté à laquelle se heurtent les aprioristes et rationalistes extrêmes est paradoxale.
Ils souhaitent partir d’axiomes irréfutables dans leur confrontation à la réalité et à poursuivre avec une logique sans faille.
« Toute déduction –en tant que déduction-, pour être indubitablement vraie et donc décrire la réalité –par définition du vrai- doit être déduite d’une prémisse elle-même vraie. »
Et ils achoppent dans la confrontation de leurs conclusions avec cette même réalité, confrontation qu’ils ne font pas mais que l’on peut faire aisément pour eux.
C’est décevant, car par ailleurs on peut leur porter une très grande admiration pour le travail qu’ils ont accompli (Rothbard et Hoppe). Leur entêtement sur ces sujets dépasse l’entendement. On peut comprendre leur fascination et leur désir pour une espèce de perfection intellectuelle. Mais cette approche aussi réductrice et sèche ne peut saisir toute la complexité de la vie.
Ainsi HH Hoppe dans « The Ethics and Economics of Private Property » argumente pour le réfuter le cas où
« A and B, must be considered equal co-owners of all bodies, places and goods….â€
Il nous dit :
« [in this] second case of universal and equal co-ownership, the requirement of equal law for everyone would be fulfilled.
However, this alternative would suffer from an even more severe deficiency, because if it were applied, all of mankind would instantly perish.â€
Or on peut facilement constater à travers l’histoire, et les temps modernes, (fiscalité, conscription) que cette copropriété partagée est le cas plutôt que l’exception et que l’humanité n’en a pas péri pour autant. Elle tâtonne, titube et avance. Ce que Hoppe concède un peu plus loin avec quelque mauvaise grâce :
« While hegemony is possible, it would involve social welfare losses and would lead to relative impoverishment.â€
Que l’on soit moins heureux est autre chose que périr.
Que l’on souhaite le mieux est très bien mais cela fonctionne aussi autrement avec de nombreuses variantes possibles comme le dit Drieu.
Et c’est pourquoi je le rejoins dans son appréciation de Hayek, qui est le penseur dont les théories apparaissent comme les plus cohérentes avec la réalité.
Hayek disait dans le contexte de la praxéologie que l’apriorisme dans l’analyse de l’action humaine était une chose, et sans doute fort légitime, mais que lorsque l’on en venait au domaine des interactions humaines, cela devenait tellement compliqué et complexe qu’il fallait aller voir comment cela se passait en réalité. Il a adopté la même approche dans son étude de la société. D’où son hypothèse, exposée par Drieu, de la sélection par l’expérience des règles de comportement dont certaines ont évolué en droit et morale. Les communautés les plus prospères ont eu à la fois du talent et de la chance.
On peut compléter la remarque de Drieu en ajoutant que Hayek soulignait l’existence notre atavisme tribal très ancien, en conflit avec les règles de la grande société.
À propos de cet atavisme on peut noter que toutes les structures sociales humaines, à l’exception de celles des aborigènes d’Australie, sont fortement tribales. Une hiérarchie se met en place spontanément dans les groupes humains. Cela commence dans la cour de récréation, dans le dos du maître. Un chef apparaît qui a des caractéristiques diverses selon les circonstances. Parfois ce rôle de chef peut être exigeant comme l’a montré Lévy-Stauss dans Tristes Tropiques.
On comprend la nécessité au cours de l’histoire de ces structures hiérarchiques pour des questions de survie dans des environnement difficiles. Trouver et utiliser les ressources demandait des efforts et les prédateurs naturels rôdaient. La coopération était nécessaire à la survie.
Le cas des Aborigènes australiens est intéressant.
Hans Hermann Hoppe commence sa démonstration du droit naturel fondé sur la propriété privée par la remarque que cette question se posait déjà au Jardin de l’Éden. Tout homme doit au moins être propriétaire de son corps et de l’espace sur lequel ce corps se tient debout.
Pour les Aborigènes, l’espace était immense, ils se procuraient facilement les ressources essentielles : nourriture, et protection vestimentaire, plus que minimale. Pas de rivalité pour la propriété privée. Ils n’avaient pas de prédateurs. Ils avaient des structures familiales très simples. Ils avaient le temps pour le rêve et la poésie. Lire le très beau livre de Bruce Chatwin : The Songlines. Est ce à cela que peut ressembler le paradis terrestre? Comment les aborigènes en sont-ils arrivés ainsi? Une évolution en sens inverse dans un environnement très favorable?
Pour terminer, citons le cas de Rothbard quant à la réalité, en prenant non pas le cas de l’éthique, mais celui de l’origine de l’état. Pour Rothbard, comme pour Hoppe son disciple, l’origine de l’état est à chercher dans l’asservissement d’une population par un groupe de conquérants.
Ce qui n’explique pas les remarques faites plus haut sur les structures tribales observées partout. Ce qui n’explique pas l’origine du proto-état des tribus conquérantes. Ce qui n’explique pas l’évolution des États Unis, qui se poursuit aujourd’hui, vers un état de plus en plus puissant, présent et interventionniste. (Murray Rothbard a écrit Conceived in Liberty.)
Il y quelques mois de cela, Michël Mithra m’avait conseillé de lire « Atlas Shrugged » si je m’intéressais au libéralisme. Je suis en train de le lire et je ne peux qu’en conseiller la lecture à tous. En plus d’un roman passionnant, le liberalisme y est présenté comme il aurait toujours dû l’être et je me rends compte l’immense quantité de merde déversée dans mon esprit par l’éducation nationale. Lire cet ouvrage avant m’aurait évité d’ouvrir ma grande gueule à tort et à travers bien des fois, et en particulier sur cette page!
On n’a pas du tout besoin de raisonner en termes d' »obligations » ni d' »impératifs » pour faire de la philosophie politique, qui consiste dans la définition de l’acte juste :
il suffit d’éliminer les incohérences dans le choix des actes qui entreront, ou n’entreront pas, dans cette définition.
C’est l’exercice auquel Rothbard s’est livré dans l’Ethique de la liberté, de façon plus ou moins satisfaisante dans les applications pratiques, ce qui est bien normal puisqu’on ne saurait être ni infaillible ni omniscient.
Il ne suffit donc pas de rappeler qu’on ne peut pas déduire une obligation d’un fait pour avoir réfuté ses démonstrations : ça n’est même pas pertinent.
En effet, la réflexion normative peut très bien se concevoir comme un exercice de sémantique, ce que reconnaissent d’ailleurs implicitement ceux qui méconnaissent le fondement ontologique de cette discipline, quand ils objectent aux conclusions de la philosophie morale rationnelle que celle-ci seraient « tautologiques », parce que faites de « définitions déguisées ».
Il y a en effet des gens qui ne savent pas ce qu’on peut apprendre de Ayn Rand : qu’un concept doit être fondé sur l’ensemble de notre connaissance, et comment.
L’erreur n’est donc pas de prétendre déduire un impératif d’un fait, ce que Rothbard ne cherche pas vraiment à faire puisqu’il n’en avait pas besoin : elle est au contraire de ne pas voir qu’il n’en avait nul besoin, en s’imaginant sans raison aucune que la recherche rationnelle des principes normatifs devrait forcément s’exprimer en termes de devoir, au point de ne pas voir que la démonstration de Rothbard réfute justement ce préjugé.
Que Rothbard ne se soit pas soucié de la distinction logique entre l’être et le devoir être, débordant à l’occasion sur le second, n’est qu’une conséquence de son réalisme aristotélico-thomiste, lequel n’y voit avec juste raison qu’une distinction de pure forme, et non pas l’objection majeure qu’y voyait David Hume.
Hans-Hermann Hoppe, en insistant (1) sur les présupposés logiques de nos déclarations et notamment les énoncés, que nos actes affirment implictement, et (2) en rappelant qu’un énoncé qui les nie implique une contradiction, de sorte que l’un ou l’autre – soit le présupposé, soit l’énoncé – doit être faux, ne fournit pas seulement (A) une démonstration concluante de la propriété naturelle, il fournit aussi (B) un instrument logique qui permet de soumettre au même traitement, à la même élimination des incohérences et donc des erreurs, celles qui contiennent une obligation ou un impératif – du moins les fournit-il à ceux qui veulent bien admettre la cohérence logique comme critère nécessaire de la philosophie vraie, et qui savent tirer les conséquences du fait d’avoir accepté un principe.
Il s’ensuit qu’invoquer la distinction entre l’être et le devoir-être contre la philosophie normative n’est pas seulement un non sequitur (1) parce que celle-ci se passe très bien du devoir être comme le montrent les démonstrations de Rothbard, mais aussi (2) parce qu’elle n’a nulle peine à le traiter à son tour si ça lui chante.
Le réalisme aristotélico-thomiste qui a toujours su, au prix d’un axiome supplémentaire, déduire de l’être vivant son devoir-être, est aussi l’approche qui, en nous rappelant la dépendance des concepts et des énoncés vis-à -vis d’autres concepts et énoncés, nous donne les moyens d’exposer la vanité des arguments de Hume – ainsi que le nombre des contradictions pratiques où se complaisent sans les voir ceux qui le prennent au sérieux http://www.libertarian.co.uk/lapubs/philn/philn065.htm
Bonjour Monsieur Mithra.
Je souhaiterais intervenir sur l’un des points de votre argumentation, relativement à l’ethique de la discussion. Vous dites :
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Argumenter contre le Droit naturel serait donc irrationnel car autocontradictoire. Mais peut-être devrait-on distinguer « argumenter » et « ouvrir sa bouche » car les « argumentations » ne constituent pas le seul type de discours que peuvent émettre les individus.
Thomas Hobbes distingue trois types de discours. En substance :
-> Les exhortations : de telles paroles sont émises par quelqu’un pour convaincre une ou plusieurs autres personnes d’agir d’une certaine façon, indépendamment de l’intérêt des personnes considérées.
-> Les conseils : ce sont des avis émis par quelqu’un sur la meilleure façon de favoriser l’intérêt d’un autre individu (les conseils sont fiables, peut-on penser, dans la mesure où n’existe aucun conflit d’intérêts entre le conseilleur et le conseiller).
-> Les ordres : ce sont des paroles prononcées par une personne disposant d’un pouvoir sur un subordonné, pour lui indiquer ce qu’elle attend de lui.
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Et les « argumentations » dans tout cela ? Hobbes n’imagine sans doute pas que l’on puisse « ouvrir la bouche » de manière désintéressée pour rechercher la vérité, mais sans doute peut-on assimiler les « argumentations » aux « exhortations » dans une telle classification, à moins qu’il ne faille les considérer comme un quatrième type de discours.
Quoi qu’il en soit, peut-on affirmer que les seuls propos vraiment rationnels sont ceux qui respectent l’éthique de la discussion ? Un maître qui donne un ordre à un esclave ne prétend pas « démontrer rationnellement » à son esclave qu’il doit lui obéir. Il s’est assuré auparavant de l’obéissance de cet esclave et se contente de lui indiquer la façon dont il souhaite être servi. Le maître est-il alors « incohérent » ou « irrationnel » lorsqu’il donne un ordre à son esclave ?
Pour un anarcap (post ?)Objectiviste tel que vous, le monde est divisé en deux catégories : les gens qui reconnaissent la légitimité de l’Etat auxquel ils se soumettent, et ceux qui ne la reconnaissent pas. Selon la théorie hobbienne, les individus obéissent à l’Etat parce qu’ils s’estiment liés entre eux par un « contrat » établissant la puissance souveraine (le souverain ne serait pas lui-même parti au contrat, soit dit en passant). Mais – dites-vous- vous n’avez conclu aucun contrat de ce type. Par conséquent, ce n’est pas en vertu d’un tel engagement que vous obéissez à l’Etat. Vous le faites pour éviter les punitions que vous infligerait l’Etat en cas de désobéissance.
Ainsi, de deux choses l’une :
-> Soit on est satisfait de l’existence de l’Etat. Par exemple parce qu’on reconnaît être lié aux autres individus par un contrat social établissant l’Etat. Sont dans ce cas aussi bien les « socialo-communistes », l’extrême-droite, mais également les libéraux « modérés », c’est-à -dire non anarcaps (étatistes, en réalité). Certaines de ces personnes émettent des critiques sur l’Etat actuel, mais elles ne contestent pas l’Etat en tant qu’il existe ; elles souhaiteraient que les dirigeants appliquent une autre politique, consistant à donner plus ou moins d’autonomie aux uns ou aux autres, etc. Parfois, des étatistes combattent physiquement d’autres étatistes, il est vrai, mais il ne sont pas insatisfait de l’existence de l’Etat en tant que telle.
-> Soit on n’est pas satisfait de l’existence de l’Etat. Dans ce cas on est opprimé. Vous êtes donc, Monsieur Mithra, opprimé, me semble-t-il.
Comment caractériser les relations entre ceux qui acceptent l’autorité de l’Etat et ceux qui ne l’acceptent pas : les premiers exciperont de l’autorité étatique dans les litiges qui pourraient les opposer aux seconds. Appelons respectivement « groupe A » et « groupe B » ces deux catégories de personnes : on a donc compris que les gens du groupe B sont non seulement opprimés par les dirigeants de l’Etat mais encore par l’ensemble des gens du groupe A.
Quand bien même il existerait une hiérarchie interne au groupe A, on peut qualifier tous les gens de ce groupe de « maîtres » des gens du groupe B, ces derniers étant les « esclaves » des premiers.
Lorsqu’ils s’adressent la parole, quel type de discours les gens des groupes A et B émettent-ils respectivement ?
Ceux qui « argumentent » sont les gens du groupe B, pas ceux du groupe A. Car ce sont les premiers qui sont « opprimés » et qui voudraient changer la situation. Les gens du groupe A, quant à eux, n’ouvrent pas la bouche pour « convaincre » les gens du groupe B qu’ils doivent obéir à l’Etat. Il suffit aux dirigeants étatiques – et à ceux qui relayent leurs décisions, c’est-à -dire les gens du groupe A – de menacer de punir ceux du groupe B pour s’assurer de leur obéissance. Quand un maître donne un ordre à son esclave, il n’a pas besoin, pour rester « cohérent », de présupposer qu’il « respecte » ledit esclave. Ainsi en va-t-il des personnes du groupe A vis-à -vis de celles du groupe B.
Certes, dans notre Etat actuel, les anarcaps post-Objectivistes peuvent énoncer leurs théories quelque peu « subversives » sans être inquiétés ni punis. Pourquoi ? Parce que nos dirigeants ont souhaité octroyer des pseudo-« libertés » comme par exemple la fameuse « liberté d’expression ». Mais en aucun cas l’Etat n’admet que ce genre de « libertés » procède de la liberté « isonomique » des anarcaps. L’Etat se réfère, il est vrai, à une certaine « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ». Toutefois, lorsqu’on qualifie celle-ci d' »acte déclaratif de droits », par opposition aux « actes constitutifs de droits » (les premiers étant, dit-on, « découverts », au lieu d’être seulement « proclamés ») il ne faut guère accorder à cette distinction que la valeur d’une clause de style. En effet, la « déclaration » des Droits de l’Homme – comme d’autres documents de ce type – dispose bien que les « droits » qu’elle mentionne peuvent être limités « dans les cas prévus par la loi ». L’Etat se réserve donc la possibilité de restreindre, selon opportunité, les « droits » qu’il daigne concéder à ses sujets-citoyens. Notre DDHC – qui pourrait d’ailleurs être abolie de la même façon qu’elle a été établie – doit ainsi être comprise comme une charte octroyée par l’Etat plutôt que comme des « tables de la Loi » supérieures à ce dernier et auxquelles il devrait se soumettre.
Dans le cadre de la pseudo « liberté d’expression » qu’il octroie à ses sujets, l’Etat permet aux anarcaps d’énoncer leurs étranges théories, disions-nous. Comment comprendre cela ? Quand bien même les anarcaps se plaignent de l’existence de l’Etat, ledit Etat n’estime pas utile de considérer leur discours comme un fait de désobéissance. Tant que les anarcaps n’entreprennent pas de désobéir en actes à l’Etat, c’est-à -dire de le combattre physiquement, tant qu’ils payent leurs impôts (ou payent les amendes qui leur sont réclamées en cas de fraude constatée), ils n’enfreignent pas la volonté des dirigeants. Ces derniers leur permettent d' »argumenter » comme, d’ailleurs, ils les autorisent à geindre, dans le cadre de la « liberté d’expression ».
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Reprenons :
-> Lorsqu’un « maître » du groupe A s’adresse à un « esclave » du groupe B, il n’ouvre pas la bouche pour « argumenter » (ce qui serait irrationnel en vertu de l’ethique de la discussion) mais pour relayer la volonté étatique auprès de l’esclave, en lui transmettant les « ordres » que l’Etat lui demande d’exécuter.
-> Dans le cadre de sa « liberté d’expression », l' »esclave » est pour sa part autorisé à :
– geindre.
– « argumenter » en faveur de théories prônant la dissolution de l’Etat, à condition de n’entreprendre aucune action interdite par l’Etat.
– demander aux « maîtres » des explications et précisions complémentaires utiles pour exécuter les ordres reçus.
Le « maître » accordera certainement peu d’importance aux deux premiers point, mais il se fera un devoir, j’en suis sûr, de fournir à son « esclave » le type de renseignements évoqués dans le troisième point. Lorsque le « maître » s’adressera à son « esclave » à cette occasion, il se peut que son propos ressemble vaguement à une « argumentation », mais il n’en constituera pas une au sens de « l’éthique de la discussion ».
Voilà pourquoi il est possible d’ouvrir la bouche pour refuser le Droit naturel sans être irrationnel et autocontradictoire.
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Mais alors le présent discours constitue-t-il une « argumentation » ou un « ordre » accompagné d’explications utiles à son exécution ?
Il prendra le caractère qu’il vous plaira de lui attribuer, Monsieur Mithra.
-> Vous pouvez le considérer comme une « argumentation » émanant d’un « frère en oppression » qui vous « respecte » et qui partage votre souffrance d’être « esclave » de l’Etat, mais qui vous explique pourquoi il est vain d’argumenter avec les partisans de l’Etat, puisque ceux-ci ne sont pas demandeurs de dialogue et ne vous « respectent » pas, eux.
-> Vous pouvez aussi le considérer comme un « ordre » émis par un partisan de l’Etat, le fût-il d’un Etat minimal comme l’est Monsieur Godefridi. Ordre accompagné des explications lui permettant d’être bien compris. Il vous est ainsi indiqué que, même si vous refusez de conclure le « contrat social » (hobbien et non rousseauiste) avec votre interlocuteur, vous devrez obéir à l’Etat. N’étant pas partie à ce contrat, vous vous trouvez de fait dans l’état de nature vis-à -vis des gens qui, eux, l’acceptent, donc à leur merci, à moins de pouvoir vaincre physiquement l’Etat. Si l’on ne vous opprime pas davantage, ce n’est guère par « respect » envers vous (au sens de l’ethique de la discussion), mais parce que votre interlocuteur pro-étatique a reçu de ses supérieurs les consignes précisant le cadre dans lequel il pourra vous opprimer. En effet l’Etat actuel impose à ceux qui reconnaissent le contrat social de respecter les pseudo-« droits de l’Homme » de tout individu, y compris de ceux qui rejettent le contrat. Pourquoi autant de clémence envers ces derniers ? Il ne nous appartient pas de contester la sagesse étatique (enfin, on peut tout de même la contester dans le cadre de notre liberté d’expression, mais ça ne débouchera pas sur grand-chose). Vous le savez d’ailleurs très bien : ces « droits » de la DDHC ne garantissent nullement le respect du Droit naturel au sens anarcap-Objectiviste. Le partisan de l’Etat qui vous concède le bénéfice de ces pseudo-Droits, lorsqu’il s’adresse à vous, n’admet nullement, implicitement, vous respecter par « éthique de la discussion ». Il indique seulement à son « esclave » les comportements que ses « maîtres » tolèrent encore de sa part.
Il apparaît clairement que le discours tenu par ce « maître » à son « esclave » est bien un « ordre » lorsque le maître se réclame, vis-à -vis de l’esclave, de la décision d’une juridiction étatique. Quelle que soit, d’ailleurs, le sens de cette décision : que la juridiction donne raison au « maître » ou à l' »esclave », dans tout les cas l’esclave est privé de la juste réparation qu’aurait pu lui accorder un tribunal Objectiviste appliquant le vrai Droit Naturel. Lorsque le « maître » excipe de cette décision vis-à -vis de son « esclave », soit pour exiger réparation, soit pour refuser de dédommager l’esclave à proportion de ce qu’aurait décidé un tribunal Objectiviste, le « maître » donne bien à l' »esclave » un « ordre » ; c’est-à -dire qu’il relaye auprès de l' »esclave » la volonté étatique.
Cordialement
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P.S.
Pourquoi les « maîtres » sont-ils satisfaits d’avoir conclu entre eux le contrat social étatique, pourrait-on se demander ? Ne seraient-ils pas plus heureux en respectant le vrai Droit Naturel ? Ne peut-on penser qu’en cherchant à fléchir en leur faveur les décisions étatiques au détriment de leurs semblables, ils perdent du temps et des ressources qui auraient été plus utilement consacrées à des activitées privées (loi de Bitur-Camember ?). Difficile à dire, car – les Objectivistes l’admettent – on ne peut pas additionner les utilités : ce qui est bon pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. Certes, on peut se faire une idée de ce qu’aurait gagné Untel dans le privé si seulement il n’avait pas perdu son temps en lobbying étatique, mais que mesurerait-on ? Des sommes d’argent ? La jouissance ressentie à opprimer son prochain n’est pas forcément quantifiable, et l’on ne peut assurer que celui qui s’est livré à cette activité a « perdu son temps » parce qu’il a subi un « manque à gagner » au plan financier.
Peut-être est-ce bien le cas, cela dit, peut-être les étatistes ne comprennent-ils pas où se trouve vraiment leur intérêt, mais si eux ne le savent pas, cela ne signifie pas pour autant qu’autrui le sache mieux qu’eux. Si les étatistes avaient « tort », ce ne serait pas, en tous cas, parce qu’ils seraient autocontradictoires en s’adressant aux anarcaps-Objectivistes.
Cher Hobbes,
merci pour votre commentaire. Il se suffit à lui-même pour l’esseniel (sur lequel je vous suis tout à fait) et je ne ferai donc que répondre à la question que vous me posez.
Je suis bien d’accord pour dire que lorsqu’on ouvre la bouche, ce n’est pas toujours pour argumenter.
Cependant, dans la phrase que vous avez mise en gras, je disais bien à propos de Drieu qu’il se trouvait dans une contradiction performative chaque fois qu’il attaquait le droit naturel parce qu’il avait déjà argumenté au moins une fois dans sa vie. Ce faisant, il avait donc déjà accepté implicitement la norme de droit. Et par conséquent il ne peut plus la nier sans se contredire.
Si toute sa vie il n’avait fait que « donner des ordres » ou des « conseils », je ne pourrais pas lui faire ce reproche.
En réalité, la question est tranchée, car en fait il n’y a que les handicapés mentaux et les jeunes enfants qui n’ont jamais argumenté. Ce n’est qu’à eux qu’on ne peut effectivement repocher d’être en contradiction avec eux-mêmes.
« Mais alors le présent discours constitue-t-il une “argumentation†ou un “ordre†accompagné d’explications utiles à son exécution ?
Il prendra le caractère qu’il vous plaira de lui attribuer, Monsieur Mithra. »
Il s’agit clairement pour l’essentiel d’une argumentation, et le fait qu’elle puisse avoir pour objectif un conseil ou une injonction ne change rien à sa nature: le caractère argumentatif ou non d’un texte est déduit de sa structure (prémisse(s), déduction()s, conclusions) et non des intentions de son auteur.
« peut-être les étatistes ne comprennent-ils pas où se trouve vraiment leur intérêt, mais si eux ne le savent pas, cela ne signifie pas pour autant qu’autrui le sache mieux qu’eux. »
Absolument. C’est la raison pour laquelle les anarcaps ne sont pas fondés à les agresser physiquement pour leur imposer leurs valeurs,ce qu’aucun d’entre eux ne songe à faire d’ailleurs. Ils sont en revanche fondés à se défendre contre eux lorsqu’ils sont attaqués, que les agresseurs soient conscients ou non du caractère agressif de leur acte. Ils sont également fondés à tenter de les convaincre de prendre la logique au sérieux, ce qui devrait les conduire s’ils sont de bonne fois, à abandonner l’étatisme comme mode de pensée. En effet, les anarcaps, forts de leur expérience, ont de bonnes raisons de penser que les étatistes ne savent pas -en général- où est leur véritable intérêt. Ils ont le droit de le penser et d’agir en conséquence -sans agresser quiconque, évidemment.
Espérant avoir répondu à vos interrogations. Cordialement.