D’un air entendu, les médiatiques – j’entends par ce mot, principalement, les gens qui se flattent d’avoir une carte de journaliste, sacré symbole de la liberté… en France – vous parlent des programmes de leurs compères politiques qui veulent devenir Président de la République.
Sous prétexte de satisfaire la prétendue opinion publique, certains d’entre eux recommandent même aux politiques de chiffrer ce qu’ils affirment qu’ils feront si le suffrage universel reconnaît leur clairvoyance.
1. Qu’est-ce qu’un programme politique ?
C’est, en théorie, le paradis que promet le candidat au peuple, s’il l’élit, et les décisions qui permettront de l’atteindre.
En pratique, c’est un ensemble de décisions qui, d’abord, tendra à faire plaisir à une partie du peuple et qui violera l’autre partie en toute impunité : « celle-ci aura juridiquement tort parce qu’elle sera politiquement minoritaire ».
En vérité, les deux parties se retrouveront bien vite gros jean comme devant car, comme le Président, et les élus qui procèdent de celui-ci, leur diront alors, il s’est produit des événements à quoi il n’avait pas pensé et qui ont perturbé l’application du programme.
Bref, une fois de plus, la classe politique en place se sera mise à l’abri, c’est-à -dire aura acquis la capacité de tondre la laine sur le dos des contribuables, tandis que les assujettis devront faire face à toutes les obligations réglementaires.
2. D’où les politiques tirent-ils les relations de causalité entre les décisions et le paradis qu’ils défendent ?
« That is the question ».
Et c’est la raison essentielle pour laquelle, aujourd’hui, le chiffrage des programmes politiques n’est plus à la mode (comme il a pu l’être dans la période 1974-1981).
L’expérience a en effet démontré à ceux qui en avaient l’illusion que la fameuse théorie macroéconomique – et a fortiori la cohorte des modèles économétriques qui en étaient déduits et qui donnaient la prétendue capacité du chiffrage – n’était qu’un péché contre le bon sens.
A défaut de mettre l’ensemble au musée des idées perdues, une partie d’entre eux qui, comme l’autre partie, s’en était fait un fonds de commerce, s’est néanmoins éloigné du chiffrage, voire des modèles économétriques, mais se délectent encore, désespérément, de telle ou telle resucée de la fontaine des théories macro économiques modifiées. Ils y trouvent les relations de causalité qu’ils recherchent et en étayent leurs discours.
Malheureusement, un premier ennui surgit car les étais ne sont que des courants d’air. Il est vain d’insister sur ce point.
Un autre est qu’à les lire, par exemple http://www.ofce.sciences-po.fr/clair&net-4.htm , ils ont écarté le chiffrage, non pas à cause de l’absurdité de la théorie macroéconomique, quelle que soit l’approche en ligne de mire, mais au prétexte de ne pas privilégier le coût du programme – qu’ils pourraient évaluer – par rapport au bénéfice – presque impossible à estimer -.
Ils oublient seulement ou nient que le coût est une façon de parler de la valeur comme les Autrichiens l’ont démontré:
« In the London-Austrian conception, […] cost becomes the negative side of any decision,
the obstacle that must be got over before one alternative is selected.
Cost is that which the decision-taker sacrifices or gives up when he makes a choice.
It consists in his own evaluation of the enjoyment or utility that he anticipates having to forego as a selection among alternative courses of action » (Buchanan, 1969, pp.42-43)
dans Buchanan, J.M. (1969), Cost and Choice, an Inquiry in Economic Theory, Markham Publishing Company, Chicago.« Cost cannot be measured by someone other than the decision-maker because there is no way that subjective experience can be directly observed. […]
In a theory of choice, cost represents the anticipated utility loss upon sacrifice of a rejected alternative. » (ibid., p.42)
Ils oublient encore ou nient que la valeur ne peut qu’être subjective :
« La valeur n’est rien d’inhérent aux biens […] [n’est] pas une propriété de ceux-ci, ni une chose indépendante existant en elle-même. C’est un jugement que les individus économiques font de l’importance des biens […] la valeur n’existe pas en dehors de la conscience des individus » (Menger, 1871, pp.120-1)
« The difference between the valuation of two states of affairs is entirely psychical and personal. It is not open to any projection into the external world. It can be sensed only by the individual. It cannot be communicated or imparted to any fellow man. It is an intensive magnitude. » (Mises, 1949, IV.4, p.97)
Ils pataugent, enfin et peut-être d’abord, dans la valeur ou la qualité objective marxiste :
« Chaque chose utile peut être considérée sous un double point de vue, celui de la qualité et celui de la quantité. Chacune est un ensemble de propriétés et peut par conséquent être utile par différents côtés.[…]
L’utilité d’une chose fait de cette chose une valeur d’usage. Mais cette utilité n’a rien de vague et d’indécis. Déterminée par des propriétés du corps de la marchandise, elle n’existe point sans lui. » (Marx, Le Capital, p.41).
dont Vilfredo Pareto avait souligné l’erreur en ces termes :
« […] [Marx] oublie aussitôt que cette propriété qui dépend de la ‘fantaisie’ ne peut être que subjective, et c’est la cause principale de l’erreur, qu’il a en commun avec Ricardo, de placer l’origine de la valeur dans le travail ; ce qui est proprement confondre le but avec le moyen » (Pareto, 1896-97, §18)
Qu’à cela ne tienne, pour nos médiatico-politiques contemporains, il y aurait une bonne qualité et une mauvaise qualité des marchandises, il y aurait des biens et des maux quand ils n’en arrivent pas à adopter la vieille attitude qu’a dénoncée aussi Pareto en ces termes :
« Quelques économistes – G. Schönberg – se plaignent de ce que la liberté de production a pour effet la mauvaise qualité des marchandises, et ils s’imaginent que, sous ce rapport, l’industrie moderne est très inférieure à l’industrie ancienne. L’étude des faits est loin de confirmer ces conclusions » (Pareto, 1896-97, §. 811, p.164)
ou mieux, quand, actualisant cette attitude, ils en arrivent à soutenir l’application et le respect du prétendu et tout nouveau principe de précaution.