Beau temps pour le tribalisme

L’Etat a sa logique de croissance propre. Un jour où l’autre cette logique se retourne contre les libertés individuelles qu’un Etat minimal est supposé garantir. Aussi, ceux qui en appellent à un « nouveau pouvoir politique » fort pour rétablir l’ordre peuvent être considérés comme bien plus irréalistes et utopiques que les libertariens. Depuis le 11 septembre les personnes individuelles (pardon pour cette redondance utile) semblent ne plus avoir d’existence propre. Un comble, tout de même, alors que des milliers de vies ont été anéanties. Dans le monde étatisé où nous vivons, agresser un ensemble d’individus suffisamment représentatifs c’est agresser l’Etat. Lorsque le crime est plus massif c’est l’Occident, c’est-à-dire son poste avancé: la communauté des hommes de l’Etat, qui est agressé. Pour les dévots de l’Etat mondial c’est l’ordre international qui est menacé. Dès lors une furie collectiviste s’empare des esprits et le langage lui-même s’arme pour mener la guerre de civilisations que l’on nous promet.

Ainsi dans le numéro 320 des « 4 vérités hebdo » (www..les4verites.com) quelques phrases nous indiquent que l’essence même des conflits, l’Etat, est appelé à devenir le sauveur de la civilisation. Ce magazine de droite « libérale » théorise depuis le 11 septembre une alliance avec les socialistes et tous les étatistes pour combattre le terrorisme.

Claude Reichman conclut dans son article intitulé « l’Occident va devoir se défendre » qu’en France « nous devons faire émerger un nouveau pouvoir politique qui fera de sa fermeté dans tous les domaines notre meilleur bouclier contre les agressions de l’extérieur et de l’intérieur. » C’est donc clair: la force de l’Occident c’est l’Etat, si possible autoritaire, dans tous les domaines.

Alors que l’Etat incarne la régression de la civilisation, le voilà paré des vertus de sauveur de l’Occident. Monsieur Reichman sait-il que l’Etat démocratique n’a aucune raison de devenir ce qu’il souhaite? D’une part parce que l’Etat a sa logique propre qui est de maximiser son pouvoir discrétionnaire (de Jasay, L’Etat) et qu’en plus il peut changer de main. On peut ajouter que c’est l’Etat qui a invité les immigrés, qui les a parqués dans des logements sociaux, qui les traitent, au même titre que tous les Français, comme un cheptel de moutons, en les incitant à procréer pour toucher des allocations. C’est aussi l’Etat qui accueille les pseudo-réfugiés politiques comme ces religieux islamistes qui prêchent la guerre sainte. Moi je n’ai accueilli personne. C’est l’Etat qui accueille. Alors il faudrait inverser les valeurs de l’Etat et tout serait joué ? Belle naïveté !

Mais peut-être avons-nous « fait preuve d’un laxisme généralisé. trop souvent, nous avons accepté des accommodements honteux avec les principes mêmes de nos institutions républicaines. » (Jean Rouxel). Vous les connaissez, vous, les principes de nos institutions républicaines ? Peut-être Rouxel fait-il référence à la république des fiches ( voir La page Libérale) ? Mettre en fiche tous les résidents sur le territoire français pour lutter contre le terrorisme ? Mais que voilà une belle idée. La République n’est qu’une coquille vide. Il manque l’adjectif. Veut-on une République islamique, socialiste, démocratique…?

Quant au « laxisme généralisé », quelle platitude lorsque l’on sait que la responsabilité individuelle, liée à la propriété privée, a fait l’objet d’une destruction en règle (c’est le cas de le dire !) par la législation et l’Etat social. Ce n’est pas le laxisme qui engendre la « décadence » de la civilisation, c’est l’Etat providence. Dans une société libre où chacun mesure et subit les conséquences néfastes de ses choix le laxisme serait un non-sens car c’est une notion liée à l’existence d’un Etat paternaliste. Mais lorsque la survie, la prospérité et la sécurité dépendent directement des choix individuels, dans une société régie par les contrats, il est vital d’agir de manière responsable, sous peine de pauvreté ou de clochardisation.

Avec Guy Millière on atteint un sommet dans l’art d’abuser des abstractions collectives. Pour quelqu’un qui a co-traduit « la constitution de la liberté » de Hayek, voilà qui est désolant. « Il faudrait évoquer, écrit Millière, ces reculs successifs de l’Occident en Indochine, en Algérie, en Afrique sub-saharienne, dans le monde arabe ». Outre le fait que ces avancées et ces reculs sont l’oeuvre des hommes de l’Etat et pas de l’Occident, comment partager ce point de vue qui considère les Etats comme des postes avancés de l’Occident ? Le colonialisme a peut-être imposé aux indigènes les valeurs qui engendrent la prospérité mais a-t-on le droit de civiliser par la force ? Violer les droits naturels du premier occupant par une conquête militaire, est-ce cela la civilisation ?

Ce retour à l’esprit colonial démontre que l’Etat mondial est désiré par la droite comme la gauche. Pour la droite il s’agit de s’en servir comme d’un instrument pour étendre, de manière résolument planifiée, la civilisation occidentale; pour la gauche l’Etat mondial est l’occasion de réaliser la démocratie planétaire, vaste marché politique où s’opérera le marchandage des droits sociaux et une redistribution des PIB entre les Etats. Pour une description réaliste cet enfer social on pourra se reporter aux analyses de Hans-Hermann Hoppe ( A bas La démocratie, sur le site LIBERALIA.COM de Christian MICHEL ). Dans tous les cas, la grande vision politique de nos intellectuels de droite ou de gauche réside dans l’avènement d’une grande tribu mondiale, avec ses chefs et ses sacrifices rituels. La souveraineté individuelle, qui aurait pu devenir la grande oeuvre éthique des Occidentaux, est entrain de sombrer. C’est ça! la décadence.