Lycéens politisés

Nous sommes en période d’élection des « délégués à la vie lycéenne », lycéens élus par leurs pairs et siégeant au CVL (conseil de la vie lycéenne). Le contenu strictement cognitif de l’enseignement s’efface de plus en plus pour un contenu « citoyen ». Comment préparer les lycéens à devenir les complices de la social-démocratie? Eh bien en jouant à la « démocratie »… Les organisations publiques, quelles qu’elles soient, succombent une à une à la « résistible ascension » du « tout-démocratique ». Depuis l’invention des « conseils de la vie lycéenne » par Claude Allègre , les lycées français, qui sont censés apporter une instruction à des jeunes de 15 à 18 ans, vivent actuellement une « révolution » institutionnelle similaire à celle qu’ont connue les universités dans les années 1970. Même si cette « démocratisation » des lycées ne suscite aucun engouement réel de la part des lycéens, elle permet aux plus activistes d’entre eux de politiser les prises de décisions des chefs d’établissements et des conseils d’établissement en constituant un véritable groupe de pression généralement manipulé par des syndicats d’extrême gauche sans scrupules. Quant à l’idée de « la participation des élèves à la vie de leur établissement » elle n’est pas sans faire écho à la « ferme des animaux » de George Orwell.

Cette démocratie représentative fonctionne à peu près de la manière suivante. Les lycéens élisent une assemblée représentative appelée « conseil de la vie lycéenne » (CVL) dont le rôle est purement consultatif mais qui peut discuter de tout et donner son avis sur tout. C’est le Proviseur qui, pour l’instant, est seul en droit de convoquer le CVL avec l’obligation de le faire deux fois par an. Le CVL élit en son sein des représentants qui siègeront au conseil académique qui fait de même pour le conseil national, au sommet de la pyramide.

Nous sommes actuellement en pleine période d’élections lycéennes et après une année d’expérience l’exacerbation des conflits, propre à la démocratie et à la prise de décision à la majorité, commence à produire ses effets. Ainsi s’exprime déjà la colère de certains lycéens avides de pouvoir: « Tout cela est hypocrite puisque le pouvoir reste aux mains des adultes », assène Nicolas Poillot, lycéen dans l’académie de Dijon (Le Monde interactif : La démocratie entre peu à peu dans les lycées ). Belle illustration du point de vue radical des lycéens les plus activistes et par conséquent les plus influents. On peut à ce sujet répéter mot pour mot ce qu’écrivait Pascal Salin dans un article du Monde à propos de la réforme des universités. « (…) Or que constate-t-on ? écrivait Salin. Tout simplement que le pouvoir est accaparé par quelques individus ou par quelques minorités organisées qui se préoccupent plus de la prise du pouvoir que de la qualité de produit, à savoir l’enseignement et la recherche. » (Les ruses de la démocratie représentatives, Le Monde du 8 juillet 1980).

Les lycéens les plus politisés, qui sont rarement les plus studieux et souvent les plus médiocres et les plus paresseux, veulent une part du pouvoir mais pour faire quoi ? Ils veulent être entendus mais pour dire quoi ? Bien trop souvent on s’aperçoit que ce qu’ils veulent faire et ce qu’ils ont à dire correspond en tous points aux revendications des centrales syndicales qui ont déjà pris soin de créer des antennes dans les lycées sous le vocable innocent de « syndicats lycéens ». Et du moment que c’est « lycéen » les portes leur sont ouvertes et les tableaux d’affichage sont à leur disposition. Il est proche le temps où les mots d’ordre de grève seront donnés par les élus des CVL. Ainsi on apprend aux lycéens à s’adapter à leur environnement. Or en France il vaut parfois mieux savoir faire une bonne grève, savoir choisir le groupe de pression le plus efficace que de développer ses qualifications et compétences personnelles.

J’ai assisté avec mépris à la grève des lycéens du mois de novembre. C’était consternant. Mais ceci n’est-il pas la conséquence logique de la « révolution pédagogique » que nous décrit Pascal Bernardin dans son livre « Machiavel pédagogue » (éditions Notre-Dame de Grâces, 1995) ? « Les enseignements formels, intellectuels, sont négligés, explique Bernardin, au profit d’un enseignement non cognitif et multidimensionnel, privilégiant le social. » L’endoctrinement « citoyen » que subissent les lycéens conduit indubitablement à des pratiques sociales collectivistes que leurs aînés leur donnent en exemple tous les jours. Ainsi est-il de règle d’exiger toujours plus de moyens, de manifester et de faire la grève pour obtenir satisfaction. J’ai bien tenté de convaincre mes élèves que donner plus de moyens à l’education nationale revenait à extorquer davantage d’impôts par la contrainte à des contribuables, et qu’en conséquence ces derniers étaient plus en droit de décider que des lycéens iresponsables. « Mais M’sieur, vous ne voulez pas être mieux payé » m’a-t-on répondu? Si bien-sûr mais pas de manière injuste, en profitant du pouvoir coercitif de l’Etat et en rançonnant les contribuables.

Maintenant plaçons-nous du point de vue des politiciens qui décrètent la « démocratisation » des lycées. Leur objectif à long terme est de politiser la société. Cette politisation est le gage de leur survie en tant qu’espèce. Installer le conflit au coeur de toutes les institutions est le meilleur moyen de justifier la nécessité d’un pouvoir politique représentatif. Collectiviser les décisions, les intérêts, la propriété, tout cela fait l’affaire de la classe intellectuelle improductive, de la bureaucratie, de la classe politique, des hauts-fonctionnaires…

On le voit bien: chaque institution soumise aux enjeux politiciens tend vers une forme politique « démocratique » où l’on perd de vue les buts de l’institution. Au contraire une entreprise est organisée autour de la production d’un service par le moyen d’un ensemble de contrats où le rôle de chacun est stipulé et accepté librement. Il n’est pas question de démocratie. La démocratie pouvait convenir pour limiter le pouvoir du gouvernement et garantir la liberté individuelle mais non pour imposer aux individus des buts qu’ils ne veulent pas poursuivre. Lorsque la démocratie se réduit à un mode de décision et un partage du pouvoir pour fixer des objectifs collectifs on obtient une tyrannie démocratique. En outre on ne comprend pas très bien pourquoi il y aurait lieu de modeler le fonctionnement d’un établissement scolaire selon les principes démocratiques sinon pour poursuivre ce bourrage de crâne « citoyen » et pour instiller les valeurs de la classe politique afin de faire de chaque lycéen un futur complice de la social-démocratie.

Tant qu’un établissement scolaire demeurera une parcelle d’espace public, l’éducation nationale et les lycées seront un champ de bataille politique où les buts politiciens prendront le pas sur les objectifs réels des individus; et voilà très exactement ce que veulent les hommes de l’Etat.
Au contraire, une entreprise privée qui fournit des services d’éducation doit satisfaire ses clients, et avoir une production de bonne qualité. Chacun sait ce qu’il a à faire: les enseignants enseignent et les élèves apprennent. Et,pourquoi pas, si un établissement privé propose une organisation démocratique où la voix d’un élève égale celle du directeur, chacun fera son choix. Et que le meilleur gagne !