Médias sous influence

Berlusconi possède 3 des 6 chaînes italiennes. Il est maintenant président du conseil ou premier ministre, et a donc en son pouvoir les 3 chaînes publiques. Enfer et damnation disent nos socialistes de droite comme de gauche!
Voilà une bonne occasion d’aborder le problème des médias d’état. Comme je le racontais déjà dans un précédent article (« Berlusconi, duce ? »), le premier ministre actuel d’Italie rassemble entre ses mains toutes les chaînes hertziennes du pays. Entre public et privé, rien ne lui échappe. M. Berlusconi aurait déjà commencé à nommer ses amis à la tête des chaînes publiques. L’inquiétude est grande dans les cercles politiques européens qui y voient l’antithèse de la démocratie. Vous croyiez que la démocratie c’était le droit de vote ? Naïfs que vous êtes, la démocratie c’est le contrôle de la télévision, et le pouvoir d’y placer ses amis!

En France, Catherine Tasca a été la plus véhémente, refusant d’accueillir le premier ministre italien, attendu pour l’inauguration du salon du livre à Paris, centré cette année sur… l’Italie. Au nom de la lutte contre l’exclusion certainement ? Comme d’habitude, c’est l’indignation à deux vitesses: quand le président Mitterrand nommait ses amis à des postes clés de l’audiovisuel français, qui criait au loup ?

En Italie, Massimo D’Alema, concurrent direct de Berlusconi puisque président des italiens démocrates « sinistra » (gauche en italien), a une position plus décapante: appliquer la loi de 1957 qui interdit à un concessionnaire d’une licence de télévision d’être élu. Ironie, cette loi ne semble pas interdire de se présenter à une élection. Et moi qui croyait que la démocratie c’était le respect de la « vox populi » au travers du vote!

Au sein du gouvernement Berlusconi, il existe un autre cas manifeste de « conflit d’intérêt »: son ministre des travaux publics n’est autre qu’un des entrepreneurs les plus importants du secteur. Va-t-il s’auto-attribuer des marchés ?
Encore plus amusant, l’avocat Carlo Taormina défendait ses clients de Cosa Nostra… tout en assumant les fonctions de secrétaire d’état à l’intérieur, avant de démissionner heureusement: un avocat ne peut être dans les deux camps à la fois, il lèserait ses clients.

Et puis les licences d’émission, ça se renouvelle. Berlusconi va-t-il renouveler la licence des chaînes télés qui ont fait sa fortune ? Le suspense est immense!
Et quand Rupert Murdoch rencontre Berlusconi en privé, est-ce pour parler politique ou business ? Toujours est-il que le lendemain l’action du groupe du premier ministre businessman augmentait en bourse. Dans quelle mesure les actionnaires ont-ils été influencés par la position politique de Berlusconi ? Comment assurer dès lors la concurrence puisque Berlusconi peut garantir à Murdoch une licence en Italie contre une alliance ailleurs ?

Les problèmes de conflits d’intérêts émergent dès lors qu’un homme politique peut user de sa position pour avantager ses clients, ses entreprises, sa famille… C’est tout simplement une position qui permet sans détourner de l’argent pour autant de profiter des lois pour accorder un avantage en dehors du marché. Le cas de Berlusconi est plus complexe puisque les reproches vont même jusqu’à lui nier la possibilité d’une vie politique, comme les propositions de Massimo D’Alema le laissent entendre.

Les solutions envisagées par les politiciens tiennent tout au plus de la cautère sur la jambe de bois: comité de sages pour juger la compatiblité entre un poste politique et une propriété ou une fonction, lois obligeant à vendre la propriété incriminée, limitations artificielles de possibilités de concentration dans les médias ou d’autres secteurs économiques…
Qui va nommer le comité de sages ? Le pouvoir en place ? Ne pourrait-il pas être tenté d’invalider une candidature gênante ? Le problème basique du conflit d’intérêt n’est donc en rien résolu. Pire: il ajoute au premier problème un second bien pire: en forceant l’arrêt d’une activité ou la vente d’une propriété, il lèse le propriétaire du bien, les clients potentiels, ou en empêchant la concentration c’est toute idée de concurrence qui est tuée immédiatement!

Et pourtant, toutes ces interrogations sans fins pourraient être balayées d’un revers de main. D’abord rappelons aux démocrates, même ceux de gauche, que tout citoyen devrait avoir accès à toutes les fonctions de l’état, sans distinction de patrimoine ou de fortune diverse.

Concernant le renouvellement des licences de télévision des chaînes de Mediaset, la position libertarienne élimine le problème à la racine: pourquoi devrait-on demander à l’état si on a le droit de diffuser sa chaîne de télé ? Non ce ne serait pas l’anarchie: il suffit là comme ailleurs de fixer des droits de propriété sur les canaux disponibles sur un territoire donné et de les louer aux enchères. Le plus offrant sur une période donnée se verrait ainsi attribuer le droit d’émettre, les droits étant versés… aux habitants du territoire en question, puisque qui sinon eux est le propriétaire de cette ressource ? Les rencontres entre magnat de la presse, qu’ils soient ministres ou pas ne changeraient alors rien au cours des actions….

Concernant les nominations d’amis au conseil d’administration des RAI, les chaînes publiques, le problème ne vient pas du fait que M. Berlusconi est à la fois concurrent de ces chaînes et leur directeur à la fois. Non, il tient dans l’existence même de ces chaînes. Rien ne justifie que 50% des chaînes italiennes soient publiques… pourquoi pas 50% de l’édition aux mains des fonctionnaires ? Pourquoi pas 50% des journaux aussi ? D’une part je doute que les démocrates zélés puissent parler de « pluralité démocratique » si 50% des médias étaient aux mains des hommes de l’Etat, donc à leur service, d’autre part c’est ignorer complètement le marché. Les préférences individuelles sont foulées aux pieds: en France on paye même une « taxe télévision », la redevance télé de 120 euros environ. Certains ne regardent jamais les chaînes d’état, payant plutôt le cable ou le satellite…. mais comme les compagnies de cable et satellite doivent donner au fisc les listes d’abonnés, vous payerez tout de même pour les chaînes indésirables, amusant non ?

Il reste malgré tout un argument des étatistes que je n’ai pas démonté: en démocratie, les pouvoirs judiciaires, exécutifs, législatif… et médiatique doivent rester en « Ã©quilibre ». Accepter cet argument signifierait abandonner aux politiciens le pouvoir de décision: l’équilibre, qui va le déterminer sinon eux ? Et n’est-il pas déjà rompu avec l’immixion des hommes politiques dans les médias ? La Cinque peut-elle tout dire sans perdre sa licence d’émission ? En France la chaîne M6 a bien failli la perdre soi-disant pour l’émission « Loft Story » où 12 jeunes gens enfermés dans une maison (le « loft ») se faisaient filmer en permanence. A moins que cela n’ait été parce que les reportages des magazines « Capital » (information économique, très libéral) et « Zone interdite » (très réaliste sur la criminalité) ?

Le dernier mythe des étatistes est celui de « l’information contrôlée par l’argent » (Massimo D’Alema in Le Monde.fr). Pour le dissiper, je vous pose juste une question: vous préférez lire la Pravda ou le New York Times ?