La gloire d’un pays se limite-t-elle à sa capacité à produire des automobiles? C’est ce que semblent croire bon nombre de personnes quand ils parlent de Fiat et de l’Italie. Avec bien sûr un remède infaillible contre le méchant marché: l’Etat. Il fallait y penser. Même les Italiens en seraient convaincus: il faut sauver Fiat! C’est une affaire « sentimentale » nous dit Le Monde (Le Monde.fr). Les Italiens sont amoureux, ou alors particulièrement fiers de Fiat.. ou bien peut-être est-ce autre chose? « Priver les Italiens de leur construction automobile, c’est leur interdire l’huile d’olive ou les films d’Ornella Muti« . A ce point là ? Oui, Fiat c’est l’Italie même, c’est une partie de la culture, du terroir, en un mot c’est l’identitié de l’Italie! Sans Fiat, que serait l’Italie? La Juventus de Turin ne serait sans doute pas devenue ce club prestigieux, appelée « la Grande Dame », maintes fois récompensée par des… Oh, mais alors peut-être que l’âme de l’Italie c’est ça? Le football, le Calcio, Maldini, Del Piero et Vieri?
Comment, vous objectez? L’Italie, dites-vous, c’est une langue, les sculpteurs et peintres de la Renaissance, les palais de Toscane, de Venise, Florence et Rome et ses monuments hérissés voilà près de 2000 ans par les conquérants latins? Mais vous n’avez décidément rien compris! Ce qui fait la grandeur d’un pays c’est sa capacité à produire des automobiles!
Avec le démantèlement de Fiat, il y aurait d’autres conséquences sinistres: Ferrari, et Alfa Romeo deviendraient probablement des marques « allemandes », sous la coupe de Volkswagen. Et le journaliste du Monde d’y aller de son couplet: « Les voitures du peuple, pris d’une boulimie de caviar« ! Quelle insolence tout de même, oser mêler ainsi les torchons et les serviettes! La plèbe allemande et le luxe italien! De la part du Monde on n’en attendait pas tant… Mais tout cela a un but précis: il faut convaincre le lecteur par l’émotion, plus que par la raison, qu’il faut une intervention de l’Etat.
Fiat depuis des années est en perte de vitesse: groupe trop grand, trop diversifié, les propriétaires et dirigeants, les Agnelli, n’ont pas su prendre les bonnes décisions. Au-delà des pertes colossales, Fiat automobile a perdu le leadership européen des ventes, et a vu sa part de marché divisée par deux. Il y a donc un réel problème économique: comment cette entreprise peut-elle retrouver une vigueur et retrouver un niveau de compétitivité suffisant pour être rentable?
C’est une question que ne pose à aucun moment le journaliste du Monde. D’abord c’est la faute à l’euro, car avec les dévaluations de la lire italienne le groupe Fiat n’a pas eu à devenir plus compétitif. Ensuite c’est la faute aux affreux « doctrinaires du laisser-faire« . En ayant démontré que les « sauvetages des firmes » étaient inutiles et coûteux, ces opérations n’ont « plus la côte« . Sauf en France peut-être: Bull, Crédit Lyonnais, Caisse des Dépôts, GAN, SNCF, aujourd’hui France Telecom et demain EDF, prochaine sur la liste, à cause des retraites et des centrales nucléaires vieillissantes. Que des réussites, n’est-ce pas? Comme s’il était besoin de démontrer quoi que ce soit…
Selon l’interprétation, erronée, du journaliste du Monde, les partisans du « laisser faire » (qui s’écrit laissez-faire d’ailleurs) voudraient un Etat garant des lois, producteur du cadre réglementaire, avec pour objectif permanent de « favoriser la concurrence » (1).
Et il ironise sur le peu de « concurrence » qui subsiste en Europe concernant l’automobile: 5 grands groupes, 3 allemands et 2 français. Curieusement il oublie de préciser qu’ils ne sont pas les seuls à vendre des voitures en Europe, il y a aussi Fiat, pas encore enterré, General Motors, Ford, Toyota, et une multitude de japonais et coréens dont je ne saurais distinguer les marques du groupe. Car il y a les groupes et ses déclinaisons: les marques. Combien y-a-t-il de marques en vente en Europe ? Concurrence, concurrence!
Mais rassurez-vous: malgré les discours, le protectionnisme et l’interventionnisme continuent. Si les salariés malheureux de United Airlines n’ont rien eu, les agriculteurs US recevront des dizaines, voire des centaines de milliards de dollars. En Europe « la liste des interventions publiques est longue et multinationale« . Et le journaliste de citer des opérations proprement scandaleuses, comme celle de la vente au rabais des parts du Crédit Lyonnais encore détenues par l’Etat. Combien de milliards perdus par les contribuables, au nom de la fierté nationale? Prenons un autre étalon: combien d’heures payées au SMIC les Français auraient-ils économisées ? Combien d’années ce luxe représente-t-il ?
Bien qu’il reconnaisse la nocivité de l’action de l’Etat (réflexe nationaliste, calcul électoral), il ne s’attarde pas plus dessus. Il préfère citer les « bonnes » raisons. Comme s’il pouvait y en avoir une seule de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
L’argumentaire servi est déjà discrédité depuis 150 ans par Frédéric Bastiat, mais peu importe, les sophismes ont la vie dure. Par exemple celui-ci: « en disparaissant, Fiat mettrait en péril toute une chaîne d’activités comme les sociétés de design, pivots de la création italienne« . D’une part il n’est pas question de faire « disparaître » Fiat d’un coup de baguette de magique. D’autre part, si les sociétés de design reposent uniquement sur l’existence de Fiat, leur importance doit être finalement limitée. Enfin, quand bien même elles disparaîtraient, elles seraient remplacées par d’autres activités plus rentables car c’est cela le sens d’une faillite: réallouer le capital à un usage meilleur.
Objection, dit Le Monde: en Europe les entreprises défaillantes sont bien remplacées, comme aux USA, mais elles n’arrivent pas à grandir et remplacer les grandes, dixit une étude de l’OCDE. C’est certainement dû au climat, n’est-ce pas? Comment, vous me dites que la météorologie n’a rien à voir avec tout cela? Alors les Européens doivent être paresseux? Comment, ils travaillent d’arrache-pied? Alors c’est peut-être que toute entreprise qui grossit apporte de multiples ennuis fiscaux à ses propriétaires et même aux employés!
Une dernière statistique insensée est brandie au secours de l’interventionnisme: « Le tissu industriel italien s’est réduit aux petites firmes« . Est-ce là un mal? Plus petites donc plus réactives, plus petites donc plus innovantes, plus petites donc plus vite remplacées… Aux Etats-Unis la croissance de l’emploi provient essentiellement de ces petites entreprises, et le nombre d’employé par entreprise baisse constamment. La croissance s’effondre-t-elle? Bien sûr il y a un creux, mais est-il aussi profond que celui que nous traversons ici depuis 2000? Non, bien entendu. Alors pourquoi ce journaliste prétend-il que les petites entreprises sont « incapables de tirer la croissance« ?
Décidemment, les journalistes n’ont toujours rien appris en matière d’économie, et les raisonnements biscornus ont la vie dure. Il suffirait d’un peu de bon sens parfois, et de dédramatiser: les employés de Rover sont toujours au travail après le rachat par BMW, ceux de Rolls-Royce par VW, et ce n’est pas demain la veille que le savoir-faire italien en design sera renvoyé aux oubliettes. Quand à la culture italienne, si elle se limitait aux voitures…. vous imaginez si on disait de la France qu’elle se limite à Peugeot et Renault? (1): Le journaliste connait vraisemblablement les bases de l’économie « néoclassique », qui se trouve dans un monde abstrait, mathématique, où des agents économiques agissent par calcul selon des règles réduites à des équations, dans un environnement de concurrence pure et parfaite. On est loin, très loin, très très loin des économistes dits « autrichiens » comme Von Mises, dont la principale oeuvre s’intitule, je le rappelle, l’Action Humaine, car les économistes ont tendance à évacuer le facteur humain: il est par trop incompréhensible, imprévisible… il ne se laisse pas facilement réduire à des équations!