Faire la guerre ou ne pas la faire?

On me demande souvent de me positionner par rapport à la question: « Faut-il que le gouvernement US fasse la guerre à l’Irak, ou pas? » Pour celui qui pose la question, la réponse « oui » ou « non » lui permettrait de me classifier dans l’une des catégorie « ami » vs « ennemi », « mec sympa » vs « gros con », « intellect supérieur » vs « abruti fini ». Eh bien, du point de vue libéral, la réponse n’est ni « oui », ni « non », mais « mu ».
Le bouddhisme Zen nous enseigne qu’il faut savoir « dé-poser » les mauvaises questions. Voilà précisément une question à laquelle il faut ne pas répondre.

Faut-il que Al Capone tue ce criminel de Dutch Schultz, ou ne le faut-il pas? D’un côté, Schultz est un criminel, qui a fait tuer moults innocents; il mérite bien son sort, et arrêtera ainsi ses sombres activités. D’un autre côté, Al Capone est aussi un criminel, qui n’a pas d’autorité particulière à faire valoir pour condamner et exécuter Schultz. Les partisans du massacre de la Saint Valentin diront à raison que Schultz est coupable, et que peu importe qui le tue, s’il le mérite (et d’ailleurs, c’est déjà ça de sauvé pour le contribuable). — que les bandits s’entretuent, ça fait autant de bandits en moins. Faut-il pour autant en conclure qu’il est bon que Capone tue Schultz? Faut-il soutenir une telle action, et la prétendre légitime? Faut-il se ranger du côté de Capone, se dire son allié? Non — car une telle alliance relève de la complicité avec les crimes de Capone. Alors, peste ou choléra? Hitler ou Staline? Staline ou Trotsky? Il est des camps que l’on ne choisit pas.

Et même entre la grippe et le SIDA, je ne choisis pas la grippe: Du strict point de vue libéral, je dis, ni l’un ni l’autre. Est-ce « raisonnable »? Et si quelqu’un possède deux seringues, et propose de vous innoculer l’une ou l’autre? Ne faut-il pas alors choisir la grippe plutôt que le SIDA? Sans doute l’Intérêt, sinon la Morale, commande de faire un tel choix, si on peut déterminer laquelle des deux seringues est la moins mauvaise. Cependant, le libéralisme en tant que tel est une théorie du Droit. Et le propos du Droit n’est pas de dire le bien et le mal. Le Droit se cantonne à distinguer ce qui est Juste, et ce qui est criminel. Or, dans une telle alternative, tout ce que le Droit conclut, c’est que celui qui nous met dans un tel dilemme est lui-même ipso-facto un criminel. La grippe, le SIDA, sont des malheurs; celui qui vous inflige de devoir subir l’un ou l’autre est un criminel.

Que dire, donc, au sujet de la guerre en Irak? Que la guerre est criminelle. Que le régime de Saddam est criminel. Mais aussi et surtout, ceux qui restreignent la liberté d’action d’autrui à ce choix sont des criminels. Tous les gouvernants, tous les journalistes à la botte et autres « leaders d’opinion » — tous ceux qui participent de la propagation et de l’enracinement du paradigme collectiviste des États-Nations, qui soumet les individus aux états, et ne permet de sanctionner un dictateur que par la guerre contre tout le peuple qu’il a soumis — eux tous sont sinon des criminels, du moins des complices de criminels.

Voilà, selon moi, ce que se borne à dire le libéralisme. Il ne sert à rien de répondre à une question qui ne se pose pas. À moins que vous ne soyez profondément impliqué dans une de ces entreprises criminelles que sont les états, votre opinion ne compte pas — alors à quoi bon en avoir? Et si vous êtes impliqué, alors vous êtes vous-même criminel bien au-delà de cette question. En tant que libéraux, nous devons nous garder d’entrer dans le jeu des étatistes et de répondre dans le cadre de leur problématique. Notre rôle est précisément d’enrayer cette problématique plutôt que d’en participer.

Les étatistes incitent chacun à avoir une opinion sur une telle question, parce qu’avoir une opinion implique d’accepter les prémisses de la question. Les libéraux rejettent les prémisses, et ne répondent donc pas à la question. Alors, si un policier vous demande « pourquoi avez-vous tué votre femme? », répondez: « Mu ».