Chirac, l’Europe etc

Une fois n’est pas coutume, un commentaire devient article. (original ici: Une bonne occasion de se taire. Une excellente analyse de la suffisance française, de la propension à projeter sur les autres son propre manque de valeurs etcetera.

Honneur à « Jérôme K. Jérôme », puisqu’il a signé ainsi Chirac est un curieux personnage politique, comme il ne peut probablement en prospérer qu’en France. Un personnage qui combine convictions flottantes, conformisme intellectuel et moral et démagogie vulgaire. Le fait que la droite libérale de ce pays ne soit pas parvenue à se donner un leader plus attractif depuis une vingtaine d’années en dit long sur son état de délabrement. Chirac n’a jamais cessé de proférer des conneries mais visiblement, depuis qu’il a été plébiscité en mai 2002, son ego se dilate dangereusement et je crains que cette sortie adressée aux pays de l’Est ne montre qu’on approche de l’explosion.
Enfin quand je dis « je crains », c’est une façon de parler : l’éclatement de cette baudruche minable, je l’attends avec impatience.

Pour l’instant, hélas, il semble que le mot d’ordre soit haut les coeurs et tous derrière notre bien-aimé Président.
Quelle chape de plomb a bien pu tomber sur ce pays pour que si peu de commentateurs relèvent et ridiculisent cette indécente grossièreté comme elle le méritait ? L’un des seuls que j’aie entendu avancer l’hypothèse que c’était peut-être notre grand crétin national qui avait perdu une occasion de se taire (une de plus, ajouterais-je), c’est Jacques Attali, qui m’inspire d’habitude une sympathie relativement modérée.

Cette affaire illustre une nouvelle fois cette comique habitude des Français de reconnaître chez les autres des défauts qui leur sont propres : ici, on entend dire par exemple que les Polonais, les Tchèques ou les Hongrois ne seraient candidats à l’Union européenne que pour les subventions qu’ils en attendent. De la part du gouvernement d’un pays qui a fait de l’Europe cette grosse usine à subventions bouffie et sans valeurs qu’elle est devenue, je trouve cela paradoxal. On leur reproche aussi, comme aux Britanniques, de n’envisager l’Europe que comme une zone de libre-échange. Certes, après 50 ans d’exploitation communiste par le grand frère soviétique, il sont probablement plus convaincus que les protectionnistes bornés qui nous gouvernent des vertus du libre-échange, comme ils sont conscients des avantages que leurs exportateurs tireraient de l’ouverture du marché européen, mais aussi, quelle Europe « politique » (puisqu’il semble unanimement admis qu’une Europe « politique » serait d’essence supérieure à une Europe de libre-échange – que pour ma part je ne trouverais déjà pas si mal si seulement elle existait vraiment), quelle Europe politique, donc, les Français leur proposent-ils?

Ne cherchez pas trop longtemps, ça peut se résumer en 1 mot: CONTREPOIDS. En gros, ça veut dire, en matière de politique étrangère: en toutes circonstances attendre que le Département d’Etat américain prenne une position, puis prendre une position opposée ou au moins différente.
Au nom de « l’équilibre » et de la « multipolarité ».

Je crains que les nouveaux arrivants ne soient pas preneurs de cette marchandise douteuse.

Je crois pour ma part que les pays de l’Est, compte tenu de leur passé récent, sont surtout soucieux de reconnaître qu’ils appartiennent à une civilisation de liberté. De leur point de vue, cette civilisation englobe l’Europe occidentale mais aussi les Etats-Unis. C’est bien pourquoi leur demander de choisir entre l’Europe et les Etats-Unis est un non-sens qui les fait sÂ’interroger sur notre santé mentale. Cette civilisation, ils jugent comme les Américains qu’elle n’est pas invulnérable et qu’elle mérite d’être défendue, ce qui fait souvent marrer les gros cyniques de Français que nous sommes. Ils estiment en outre probablement que lÂ’Europe n’offre pas à ce jour une garantie de sécurité suffisante, ce qui est incroyablement injuste après lÂ’appui considérable, bien que strictement verbal, prodigué par les Français aux Tchèques et aux Polonais en 1938, aux Hongrois en 1956, aux Tchèques à nouveau en 1968 (une affaire « intérieure » entre communistes, dixit un autre grand borgne en politique étrangère, le général de gaulle), aux Polonais encore en 1981, etc.

Bref, contrairement à ce qu’on entend souvent dire, ils sont peut-être pour l’Europe « politique », mais pas pour l’Europe politique à la française, l’Europe à l’abri derrière ses barrières douanières, l’Europe de la « 3ème voie », avec son épaisse bonne conscience écologico-tiers-mondiste, ses courbettes à Mugabe ou à Castro, et son obsession de « faire contrepoids » à « l’hégémonie américaine ».

Personnellement, jÂ’aime les « infantiles », je trouve quÂ’ils ont bien fait de parler et qu’ils apportent de l’air frais dans une Europe qui sent parfois le moisi.

Article posté en tant que commentaire par Jérôme K Jérôme sur la Page Libérale, republié avec son autorisation.