Pour un homme politique, ne pas tenir ses promesses c’est la base du métier. Seulement il faut gagner les élections aussi. C’est certainement là toute la difficulté de la politique : trouver un prétexte ou un bouc émissaire pour faire oublier ses propres échecs, tout en s’appropriant la réussite des autres, sans que personne ne s’en rende compte ou ne le relève, voire, encore mieux, faire passer un désastre pour un succès. Toutes les recettes sont bonnes. Evidemment réussir de tels tours de passe-passe n’est pas à la portée de tout le monde. Jospin avait beau prétendre être à l’origine de la croissance de 1998-2000, il n’en a pas moins perdu les élections présidentielles. Mais ses alliés politiques n’ont pas renoncé à réclamer son « héritage », comme par exemple Dominique Strauss-Kahn dans l’émission « 100 Minutes pour convaincre » (voir le commentaire de Claire ).
Par contre, les 35 heures semblent vues par un grand nombre de gens comme un succès majeur, au moins sur le plan « social », car les jours de RTT dont profitent surtout les classes moyennes écrasées d’impôt, sont bienvenus. Mais là aussi, la perception économique est différente : tout le monde a pu constater les difficultés engendrées par ce projet dans son entreprise.
Maintenant, c’est au tour de Jean-Pierre Raffarin de s’essayer à l’exercice périlleux de faire passer des vessies pour des lanternes, de trouver un bouc émissaire, de détourner l’attention, bref de trouver l’arbre qui cachera la forêt.
Premier ministre de chirak , il devrait en théorie mettre en œuvre le programme du président . Pour se faire élire, celui-ci a fait des promesses. 30% de baisse d’impôt sur le revenu dans 5 ans par exemple. Une promesse qui n’engage à rien puisqu’il ne dit pas ce qui va baisser par rapport à quoi. Les taux ? Les montants absolus ? Les montants hors inflation ? L’assiette va-t-elle changer ? Avant même venu le temps de décevoir, le président se ménageait des issues de secours, en entourant sa promesse d’un large flou artistique. Règle n°1 : quand vous faites une promesse, faites la tellement vague qu’elle peut vouloir dire tout et son contraire : tout le monde se sentira concerné, et si vous ne la tenez pas, dites que vos détracteurs vous ont mal interprété.
A peine élu, chirak a nommé son gouvernement, avec à sa tête un « humaniste libéral » (voir à ce sujet mon article): jean pierre raffarin. A peine nommé, ce gouvernement faisait savoir qu’il ne pouvait tenir les promesses du président. Les restaurateurs attendent toujours la baisse de la TVA (moi aussi !). Patatras : Bruxelles refuse ! Règle n°2 : faites des promesses qui ne dépendent pas de vous, comme ça si vous ne pouvez la tenir, blâmez un tiers.
Mais il y a pire : le budget 2003 dérape, alors que le budget 2002 est (plus) catastrophique (que prévu) (voir la brève de Claire). Il faudra donc renoncer aux « baisses » d’impôts. Déjà il y a quelques temps Francis Mer avouait que les « baisses » étaient compensées par d’autres hausses, si il n’y a plus de « baisse », il faut donc en conclure qu’il y aura une hausse nette. Règle n°3 : mentez par omission, personne ne pensera à vous reprendre.
Alors, comment Raffarin va nous faire avaler cette couleuvre, après avoir fait campagne sur les baisses d’impôts ?
Intervient alors la règle n°4 : minimisez ! Il faut donc faire croire que la catastrophe n’est pas si grave que ça. Comment ? Bataille de chiffres, manipulation, tout est bon. Malheureusement avec l’euro, ça ne marche plus aussi bien qu’avant : le politburo la commission de Bruxelles veille ! Le traité de Maastricht stipule que le déficit budgétaire des pays de la zone euro ne doit pas dépasser 3% du PIB. Rien que ce chiffre est en lui-même un mensonge : 3% du PIB rapporté au budget de l’Etat, c’est 20% de déficit quand on compare les recettes aux dépenses. Mais 3% c’est toujours mieux que 20 dans un discours !
Mais passons, puisque 3% cÂ’est « acceptable ». Peine perdue : le budget 2003 fera plus : « trois virgule epsilon, moins de 3,1 % » dixit Raffarin. Epsilon en langage ministériel ça veut dire en réalité des centaines de millions dÂ’euros. Et la ministre aux affaires européennes dÂ’ajouter : « [on] a mordu la ligne jaune mais ne l’a pas dépassée ». Avec les arrondis, cÂ’est encore plus simple : « il n’y a pas de différence fondamentale entre 2,9 % et 3,1 % » (Francis Mer). CÂ’est exactement lÂ’argumentation française. Aucune mention des arrondis dans le traité de Maastricht ? Vous avez devant vous un exemple de la règle n°5 : redéfinissez les règles en cours de route !
Tout cela aura bien un impact sur les Français ceci dit. Puisque le déficit s’élargit de jour en jour, il va bien falloir le combler, non ? Non. Surtout pas de baisses de dépenses : la rigueur et le social ! Comme si l’argent de l’Etat était dépensé au « social ». 14% pour le service de la dette, 50% pour les salaires des fonctionnaires, 10% dits d’ « investissement », reste… pas grand-chose. En fait le RMI représente à peine quelques milliards d’euros, quasiment rien en regard du budget total. Le reste du « social » ? Mais c’est la Sécurité Sociale qui le gère, pas l’Etat central ! D’où la règle n°6 : mélangez tout, personne ne saura faire la différence.
Mais ce n’est pas fini : parce que vos adversaires politiques ne lâchent pas le morceau, il faut en rajouter. Il faut donc trouver un coupable supplémentaire au désastre. Les budgets ont été construits sur l’hypothèse surréaliste de 3% de croissance. Elle n’atteindra pas 1,5%. C’est donc la faute à la croissance. Mais comme en cas de croissance le ministre cherchera à se l’approprier, il faut trouver une cause à cette croissance misérable. Facile : c’est la faute à la situation internationale. D’où la règle n°7 : c’est toujours la faute aux Américains quelque part.
Alors que faire ?
DÂ’abord, continuer sur la pente du socialisme : « La justice sociale, ce n’est pas la distribution à tous, c’est des efforts en direction des plus fragiles » (Raffarin). Selon Thomas Sowell, la justice sociale « cÂ’est lÂ’envie plus la rhétorique ». Mais Raffarin nÂ’est pas libéral, il est « libéral humaniste ». Un étatiste pour faire simple.
DÂ’ailleurs, si les déficits ne peuvent être contenus, en tout cas pas par Raffarin, autant leur donner une justification : il faut soutenir lÂ’activité ! Et Keynes à la rescousse : « Ce n’est pas lorsque la croissance est incertaine qu’il faut serrer plus que nécessaire les dépenses. Cela conduirait à déprimer davantage la conjoncture ».
Autant dire que cÂ’est foutu pour les baisses dÂ’impôts. Le déficit va continuer à sÂ’alourdir étant donné que la croissance est quasi-nulle, quÂ’aucune action nÂ’est entreprise pour alléger lÂ’Etat. Il va peut-être même falloir recourir à une hausse de la CSGÂ… Alors, quelle justification va trouver Raffarin ? Aucune : il va nier tout en bloc : « Nous n’irons pas à rebours de nos engagements de baisse ». Ne vous inquiétez pas, personne nÂ’ira le reprendre, et cÂ’est pourquoi il peut utiliser la règle n°8 : mentez, personne ne sÂ’en souviendra.
Comment est-ce possible ?
Finalement, on se demande comment les politiciens peuvent débiter tout cela sans jamais être repris. Car tout cela ne pourrait fonctionner sans deux ingrédients essentiels : la complicité médiatique d’une part, l’illettrisme économique d’autre part.
Complicité médiatique car les journalistes sont trop serviles pour attaquer leurs maîtres, quand ils ne sont pas acquis à leur cause. Illettrisme économique car du collège à l’université les professeurs doivent enseigner le keynésiannisme, l’interventionnisme, l’étatisme comme solution ultime à tout problème.
Et si jamais un politicien n’arrivait pas à s’en sortir par une pirouette, il pourrait toujours dire : l’Etat, c’est vous. Et d’ailleurs ils le font : Hervé Morin, président du groupe UDF à l’Assemblée Nationale a déclaré : « il faudra dire aux Français qu’ils dépensent trop et qu’il faut arrêter les égoïsmes ».
D’où la règle n°9 : tout ça, c’est de votre faute. Doit-on en conclure qu’on a le gouvernement qu’on mérite ?
PS: j’ai écrit cet article il y a un mois au moins de cela, et il est déjà paru sur le Québécois Libre. Aujourd’hui Raffarin n’a plus besoin d’excuses, l’Iraq suffit. Mais Raffarin est quand même tenu pour responsable semble-t-il par les Français, dixit les sondages calamiteux. Tant pis pour lui. A quand une politique libérale ?
« les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent »
et bien sur, c’est un politic(h)ien qui l’a dit !!
« La justice sociale, ce n’est pas la distribution à tous, c’est des efforts en direction des plus fragiles »
D’un autre coté on peut comprendre cette phrase comme un avertissement envers les accapareurs du systéme actuel qui ne sont pas du tout dans le besoin, eux…
Restont optimiste.
« Finalement, on se demande comment les politiciens peuvent débiter tout cela sans jamais être repris. »
Ils sont repris, par l’abstention et par le vote extremiste.