Rencontre avec la raison

Comme vous le savez, même si vous n’y avez pas assisté (à 15, on a vite fait le tour!), ce dimanche était le jour de la marche célébrant le capitalisme.

Cela nous a permis de recevoir quelques oeufs, heureusement frais (grâce aux inventions d’hommes libres), de faire des rencontres ou de se revoir simplement. Mais nous avons pu aussi discuter un peu avec des passants, très étonné de voir qu’on peut encore croire à une idée aussi archaïque que le « capitalisme ». C’est vrai que le communisme, c’est vachement plus in. Parmi ces passants, je retiendrai deux discussions particulièrement symptomatiques: la première avec une femme d’Amérique Latine, la seconde avec une parisienne.

La « chilienne »

La « chilienne » nous a parlé du Chili, vous l’aurez deviné. Pour dire quoi ? Que l’application des idées capitalistes mène à la dictature. Citation: « les idées elles sont belles mais mises en application » [phrase suivie d’un haussement d’épaules, et d’un mouvement des bras].
Ce qu’elle était en train de tenter de nous démontrer par un seul exemple, de multiples fois contredit, que toute théorie ne saurait trouver d’application valide, et conduirait à une dictature.

D’une part son exemple peut être balayé d’un revers de la main car il existe un tas d’autres régimes plus ou moins capitalistes qui ne sont pas des dictatures. Il suffit de démontrer qu’une théorie est fausse une fois pour lui retirer son universalité. Mais cela, l’a-t-elle compris ?

On aurait pu ajouter: le Chili était une dictature où la liberté d’association était interdite. Où la liberté d’expression était illusoire. Où les libertés tout court étaient bafouées. Il y a eu des arrestations arbitraires, des exécutions sommaires, des journalistes qui disparaissent, de l’émigration pour fuir tout cela. Et parallèlement à sa dictature politique, le Chili est redevenu une terre de liberté économique relative (et au passage, bien plus riche que ses voisins).

Cela n’est pas fondamentalement incompatible, mais ce qui est sûr c’est que le capitalisme tel que les libertariens l’entendent ne saurait se concevoir dans une dictature. Une dictature cherche à contrôler les médias. Elle censure les journaux. Elle possède les chaînes de télé. Vous ne pouvez pas ouvrir une radio du jour au lendemain sans autorisation expresse. Vous ne pouvez pas avoir un gros contrat sans copinage avec le ministre X ou Y. Capitalisme peut-être, mais capitalisme libéral, non.

Mais allez savoir si l’argumentation touche son cerveau. Franchement, je ne crois pas. Emportée par l’émotion, elle qui peut-être a eu de la famille torturée ou exilée au Chili, elle n’a pas fait appel au raisonnement.

« La parisienne »:

La parisienne… une femme qui se promène le long du canal Saint Martin… il fait chaud, et elle se balade avec des lunettes de soleil sur la tête, bien bronzée, un peu trop nourrie, un joli sac en bandoulière. Bobo ? Pas vraiment. Plutôt une citoyenne lambda.

Nous procédons donc à l’explication de notre « marche »:

– nous célébrons le capitalisme, qui nous permet d’avoir des voitures de toutes les couleurs, de tous les modèles et…[coupure immédiate]
– j’aime pas les voitures
– peu importe, il y a des centaines de produits différents partout, nous vivons dans un monde d’abondance…
– justement on a trop de choix

Trop de choix. J’avais bien entendu. Trop de choix. Mademoiselle, vous préférez les Trabant aux dizaines de marques que nous avons ? L’écologie, vous en faites quoi ?
Elle n’a pas répondu. Je lui ai demandé ensuite pourquoi elle portait son body rouge plutôt qu’un autre. Pourquoi puisqu’il existe des dizaines et des dizaines de centaines de milliers d’habits aux coupes différentes, aux motifs différents, aux marques différentes, de qualités différentes…
Elle a bien fait un choix. C’est si dur de choisir ? Il faut mettre fin au capitalisme qui nous permet de choisir ? Exercer sa liberté, c’est tellement affreux qu’il faut vivre prisonnier ?

Alors elle a lancé l’argument massue:
de toutes façons, vous ne me convaincrez pas.

Elle l’a dit. Je reformule: « quels que soient vos arguments, vous ne me convaincrez pas« . Ou encore: « quelle que soit votre raisonnement, moi je n’en ai pas« . Car la vérité c’est bien cela: devant la faiblesse de mes positions, puisque je ne sais pas opposer une argumentation cohérente, je n’ai rien à opposer d’autre que la démence. Fuir la rationalité, nier la force de l’argumentation, c’est se réfugier dans la folie. Explications magiques. Refus de la réalité. Refus de la raison.

Cela je l’avais déjà ressenti lors des débats sur l’Irak: les français abandonnent la raison pour l’émotion, ils fonctionnent sur des réflexes pavloviens. Abreuvés de propagande, ils sont incapables d’aller au-delà des conditionnements, et leurs esprits déglingués par l’éducation nationale pour les plus jeunes, par France2 et TF1 pour les autres sont incapables de comprendre un raisonnement, encore moins d’en construire un. Les Français sont victimes d’une crise beaucoup plus grave qu’une crise économique ou une crise politique. Les français sont victimes de la pensée magique et de l’absence de raison. Cela, on n’en guérit pas en un jour.

Au cours d’une discussion sur le Net, j’ai dit ceci à une amie:
moi: mais pourtant beaucoup de gens ne sont jamais convaincus par une argumentation… pourquoi ?
moi: parce qu’ils vivent dans un monde merveilleux, fait d’illusion, de mensonge, et de croyances. Donc la propagande, la pensée magique.
(non je ne parle pas tout seul, j’expliquais juste ce point particulier…)