Innovation

Souvent reviennent dans les discussions sur l’Etat des arguments sur la recherche, l’innovation : sans Etat, pas de fusées, pas de satellites, pas de micro-onde, pas de radar, pas de médicaments, pas de ceci ni de cela. L’Etat serait indispensable à la recherche, au progrès. De raccourcis en raccourcis, beaucoup concluent que les Etats sont indispensables à la recherche. Et donc, que l’Etat lui-même est indispensable. La recherche privée a existé bien avant les Etats modernes, y compris la recherche fondamentale. Au travers du mécénat, au travers des entrepreneurs, et bien sûr au travers des universités.

Les universités ont un intérêt évident : être à la pointe d’un domaine signifie attirer les meilleurs professeurs, les meilleurs étudiants, avoir donc un diplôme de grande valeur, placer facilement les élèves, et donc vendre la formation à un prix élevé. Pas forcément besoin d’être riche pour entrer dans une telle université : des entreprises peuvent attribuer des bourses pour ensuite récupérer des spécialistes formés, et les banques sont moins regardantes sur les garanties financières, elles savent qu’elles seront remboursées du fait du diplôme. Les universités aussi peuvent financer des programmes pour recruter des élèves particulièrement méritants aussi, grâce au mécénat.

Les entreprises entretiennent aussi des laboratoires de recherche fondamentale tout simplement pour toujours être à la pointe dans leurs domaines de compétences. A quoi bon payer de la R&D si les chercheurs ne sont pas parmi les meilleurs ? Que se passe-t-il si l’entreprise passe à côté d’une révolution dans son domaine ? Beaucoup d’entreprises préfèrent laisser libre cours à leurs chercheurs. Ceux-ci peuvent alors approfondir un domaine particulier, sortir du cadre de réflexion habituelle, et rapporter à l’entreprise beaucoup de créativité, des solutions nouvelles, et une mise à niveau par osmose des autres chercheurs…

Bref, pas vraiment besoin d’Etat pour la recherche fondamentale, surtout au regard du désastre que constitue par exemple le CNRS. (cf. les dossiers de l’IFRAP : http://www.ifrap.org/2-fromages/cnrs.html) Malgré tout, il existe un tas d’inventions ou d’innovations directement issues de la recherche étatisée. L’une des plus couramment citées est l’Internet. Examinons un peu cette invention étatique.

Les militaires américains avaient besoin d’un réseau de communication fonctionnel même en cas d’attaque nucléaire. Ils ont donc demandé aux informaticiens de l’époque de leur concocter un tel système. Et en avant le réseau : ARPANET, dans les années 60. Ca c’est l’idée de base. Bien sûr après il a fallu des tonnes d’autres technologies, des micro-ordinateurs aux protocoles de communication, mais ça, chut, on oublie : le Net est né grâce à l’armée US. Voilà ce qu’il faut retenir.

A quoi était-il destiné ce réseau ? A quoi ça sert de communiquer quand le pays est rasé par des dizaines de charges thermonucléaires ? A rendre les coups pardi ! Oui : le but du réseau était d’abord de permettre aux ordres de riposte d’arriver aux silos, enterrés à grands frais dans le Nebraska et d’autres Etats US paumés. Voilà à quoi pensaient les concepteurs du système. La moitié de la planète est détruite, faisons en sorte que l’autre le soit aussi. C’est cela l’invention miraculeuse ?

Prenons maintenant un second exemple : la conquête spatiale. Quelle merveille : des hommes dans l’espace ! des satellites, des nouveaux matériaux, des innovations en pagaille ! Revenons au point de départ : pourquoi les fusées ? Parce qu’Hitler cherchait une arme simple et peu coûteuse pour la lancer sur la tête des londoniens. Ensuite les Américains et les Russes se sont jetés comme des loups sur ce vivier de scientifiques peu scrupuleux. Comment, il n’étaient pas nazis ces scientifiques ? Autant on peut argumenter sur la complicité objective des opposants à la guerre en Irak, autant celle des scientifiques allemands pendant la 2nde Guerre mondiale ne fait AUCUN doute. D’ailleurs Von Braun était… SS. (la biographie de la NASA oublie de le précisernasa.gov, mais vous pouvez le lire ici : space.com et regardez le film de Kubrick « Doctor Strangelove », le scientifique allemand c’est la caricature de Von Braun).

Bref, encore une invention d’abord tournée vers le militaire. Vers la destruction. Vers la terreur. Vers la mort. Et vous voudriez laisser les Etats développer des inventions ? La recherche étatisée est tournée vers le militaire. Sinon, elle est inefficace : les entreprises ont des incitations bien plus grandes, des structures bien plus adaptées que les Etats, elles répondent à des besoins identifiés, pour leur profit et celui des consommateurs.

Dans les recherches privées aussi il y a des dérivés inattendus. Je le sais : le post-it, grâce à la colle qui colle « mal », en constitue l’illustration la plus célèbre. Mais à la base l’intention de l’inventeur n’était pas de construire un engin de mort, de contrôle ou de flicage, ou de défense contre une agression d’un autre Etat. L’intention de base était simplement de trouver quelque chose d’utile à quelqu’un d’autre, et d’en tirer profit par le biais du marché. La recherche de rentabilité n’entrave pas le hasard, mais augmente les chances de trouver une invention géniale, et donc tente de minimiser la production de déchet, au contraire de la recherche militaire qui produit d’abord ce qu’on considérerait comme du déchet dans des conditions normales.

D’ailleurs, les inventions étatiques ne sont devenues intéressantes que lorsqu’elles ont quitté le cadre de l’Etat. Internet est devenu grâce à une myriade d’entreprises qui y ont cru, d’investisseurs qui eux aussi y ont cru (un peu trop d’ailleurs !!). Jamais à aucun moment de sa conception, ni même de celle de tous les protocoles sous-jacents personne n’a imaginé ce qu’il deviendrait !

Les satellites et le reste c’est exactement pareil : quand le kevlar sert à faire des gilets pare-balles, l’ingénieur qui le conçoit ne se dit pas encore : et si on en mettait dans des planches à voile, les tableaux de bord de voiture ou que sais-je encore ! Il faut un marché pour faire naître ce genre d’idées. Les inventions des ingénieurs militaires ne prennent leur ampleur qu’une fois réappropriées par les civils. Car c’est quand le génie créatif est appliqué au service des autres qu’il devient génie. Avant il n’est que démon.