Illusoire perfection

La concurrence doit être « pure et parfaite », sur décision de la commission de Bruxelles. La victime ? Microsoft. Etude de cas.

Update:
Microsoft casse ses prix en Thaïlande Cette notion de concurrence «pure et parfaite» date des économistes néo-classiques. Pour avoir fait de l’économie – dans une université française, s’il vous plait- je pense pouvoir définir à peu près ce que recouvre ce concept. Les conditions suivantes doivent être réunies:
– Tous les acteurs du marché ont la même information (symétrie de lÂ’information consommateur/producteur)
– LÂ’information est parfaite (ce qui mériterait un volume entierÂ…): tous les producteurs savent comment produire de la façon la plus efficace
– Il y a atomicité de producteurs et de consommateurs
– Le produit est homogène
– Pas de barrière à lÂ’entrée/sortie du marché

Evidemment, ça fait un peu beaucoup de conditions, toutes plus surréalistes les unes que les autres:
– Le producteur a presque toujours une meilleure connaissance du produit que le client
– Chaque producteur a une méthode unique de production
– Il y a un tas de marchés où le capital nécessaire de base est tellement immense quÂ’il est forcément «oligopolistique»
– Même si une différence nÂ’est que marketing (whisky X ou Y, cigarettes X ou Y, Coca/Pepsi), les consommateurs font bien la différence
– Il existe des barrières non économiques sur pleins de marchés: licences, brevets, droits divers, lois

Pourtant, la concurrence «pure et parfaite» serait «souhaitable» car avec de telles conditions, les prix proposés seraient forcément les plus bas: aucun acteur n’a de contrôle sur les prix, ils ont tous les mêmes méthodes de production (et dès qu’un seul innove tout le monde adopte l’innovation immédiatement), il n’y a pas de profits possibles… et donc les étatistes sautent sur l’occasion: voilà un objectif complètement absurde, car hors définitivement hors d’atteinte, donc prétexte incessant à interventions! En plus, facile de pointer une «défaillance du marché» puisqu’il ne peut être qu’ «imparfait»!

CÂ’est sur ces bases là que les lois antitrust US et les lois sur la concurrence en Europe ont vu le jour. AujourdÂ’hui, Microsoft est dans le collimateur de Bruxelles (voir ce lien: Bientôt plus de media player dans Windows?). Le prétexte? «en incluant Windows Media Player, Microsoft affaiblit la concurrence, étouffe l’innovation et réduit en définitive le choix du consommateur», dixit la Commission de Bruxelles.

Le raisonnement est le suivant: les diverses versions de Windows occupent 90% (au moins) du parc installé, et représentent au moins autant de pourcentage des nouvelles ventes. En installant d’office le logiciel «Windows Media Player» -lecteur multimédia-, Microsoft s’arroge ainsi 90% de part de marché sur ce segment particulier! Ce n’est pas totalement faux, mais cela a-t-il vraiment l’impact prétendu par la Commission? Cela nécessite-t-il une action «correctrice» ou «punitive» d’une autorité extérieure?

Toute entreprise doit offrir à ses clients de la valeur: Microsoft ne fait pas exception. Offrir des programmes à ses clients, voilà qui est une façon simple d’apporter de la valeur! Internet Explorer et Windows Media Player (WMP) sont deux logiciels de bonne facture, largement suffisants pour une utilisation courante (ceci dit, j’utilise Mozilla et je reste à la version 6.4 de WMP!). D’autre part, pas besoin d’aller chercher sur Internet un navigateur ou un lecteur multimédia: c’est un gain de temps. Le coût pour Microsoft? Assez conséquent! Développer IE et WMP prend du temps: de larges équipes y sont employées, pour finalement distribuer les logiciels gratuitement. Eventuellement, Microsoft aurait pu faire appel à une société extérieure pour inclure son logiciel dans Windows, mais pour un certain nombre de raisons qu’il ne nous appartient pas d’évaluer (coût, maîtrise de la technologie, intégration…), il en a été autrement.

Le résultat pour le consommateur est qu’il y a maintenant un logiciel de plus parmi tous les lecteurs multimédias disponibles. Pour peu que WMP réponde aux attentes, il évincera de fait ses concurrents. Cela signifie que les logiciels alternatifs n’étaient tout simplement pas assez bons, pas forcément techniquement d’ailleurs. Car s’ils avaient des clients qu’ils ne savent pas conserver, c’est bien que la valeur apportée était minime: même pas suffisante pour couvrir le fait de télécharger et d’installer! 1. La concurrence n’est donc pas affaiblie, Microsoft ne fait que révéler une faiblesse désormais patente, une incapacité à fidéliser sa clientèle, d’autant que WMP comme IE sont plutôt basiques dans leurs domaines respectifs.

Pour reconquérir les clients perdus, les entreprises vont devoir s’adapter. Pour certaines, ce sera peut-être trouver autre chose à vendre. D’autres choisiront de poursuivre sur le même marché. Pour survivre dès lors, il n’existe qu’un seul moyen: différencier le produit. Cela peut être fait au travers de la maîtrise d’un format particulier (QuickTime Apple, RealAudio), ou aussi par de l’innovation sur l’interface ou les fonctionnalités! Meilleur contrôle de l’image? Fonctions particulières de montage intégrées? Ajout d’une fonctionnalité de sauvegarde d’un stream vidéo live? Meilleure qualité de l’image? Les formats de compression représentent aujourd’hui un très important point d’amélioration des lecteurs multimédias, sinon le plus important 2, l’autre étant éventuellement les contrôles de propriété intellectuelle . L’innovation n’est donc absolument pas entravée par Microsoft, au contraire: l’entrée d’un acteur majeur force les autres à réagir. Tout bénéfice pour les consommateurs.

Alors au final, le choix du consommateur est-il réduit? Peut-être, car il est maintenant certain qu’avec une alternative gratuite pré-installée il faudra présenter un produit plus performant: moins d’alternatives, mais de meilleure qualité et moins chères! Les effets négatifs pour le consommateur ont donc l’air d’être franchement minces… Mais si ils existaient vraiment, l’Etat devrait-il intervenir?

L’un des principaux reproches à l’encontre de Microsoft c’est donc d’utiliser son système d’exploitation pour donner son produit à son client. Où est le crime? Tout se déroule pacifiquement, il n’y a pas viol des droits de propriété de qui que ce soit. Les concurrents n’ont pas de «droit à» avoir leurs logiciels installés aux frais de Microsoft: au nom de quoi? du fait que Microsoft donne son propre produit par ce biais? Pour rétablir un accès «égal» au consommateur? Pour rétablir «l’équité» du marché? Depuis quand la concurrence doit-elle être équitable? N’est-ce pas là la base de la concurrence: savoir tirer parti de ses forces pour avoir un avantage sur les autres? Vous me répondez concurrence «loyale»? Encore une notion bien floue: avec ça vous pouvez interdire aux supermarchés de faire de la publicité car les épiciers ne peuvent pas, ou bien vous limiterez le nombre de jours de solde… ah mais attendez ça c’est déjà en place en France… Bref: la concurrence «loyale» étatique c’est simplement l’interdiction de la concurrence «sauvage» capitaliste, libre. Bizarrement pour rétablir la situation il faudra l’intervention de lois, d’huissiers, et de la police… Dans la concurrence «loyale», un des concurrents a l’appui de l’Etat.

Plus généralement, ce qui est reproché à Microsoft c’est le succès: le «monopole» existe tout simplement car les clients ont fait et continuent de faire confiance à Microsoft. Les produits Windows sont maintenant d’un excellent niveau technique, quand à l’ergonomie après des années d’utilisation (8 ans déjà depuis Windows95) la plupart des utilisateurs y sont habitués. Résultat, la part de marché de Windows ne s’érode quasiment pas face à Linux, principal concurrent sur les systèmes d’exploitation, malgré les progrès spectaculaires de KDE ou GNOME, sa disponibilité gratuite (oh! concurrence déloyale!), et les suites bureautique comme KOffice ou OpenOffice.org gratuites aussi! La seule explication possible pour ceux qui ne connaissent que la force comme outil pour mettre en œuvre leurs idées, c’est que Microsoft utilise des moyens coercitifs pour se maintenir en position de leader. Mais Microsoft ne dispose pas de la force de la loi pour ce faire!

Contrats d’exclusivité, installation obligatoire de Windows sur toutes les machines fabriquées par les grandes marques (Dell, Compaq ont eu de tels engagements): voilà des pratiques «anti-concurrentielles». Mais ces pratiques n’empêchent absolument pas à des indépendants de proposer des machines Linux: aux USA, Walmart propose des PCs à 200$ fonctionnant avec Lycoris Destkop ou Lindows (deux versions de Linux). Le marché n’est donc nullement bloqué: les barrières à l’entrée résident en fait dans l’habitude des consommateurs, dans le fait que Windows est aujourd’hui un produit bien plus abouti que les variantes (innombrables d’ailleurs, comment s’y retrouver?) de Linux…

Il faut aussi noter que ces contrats, s’ils reflètent un rapport de force (comme tous les contrats), n’en restent pas moins des contrats librement signés: IBM a choisi de ne pas signer un tel contrat, ayant choisi de faire de Linux un de ses fers de lance. Dell a pendant un temps proposé des PCs sous Linux, pour finalement renoncer devant le peu d’engouement des consommateurs! Faut-il comprendre que le résultat de la domination de Microsoft résulte simplement de la volonté exprimée des consommateurs? Et c’est peut-être ce qui dérange le plus les Etats: ils n’aiment que les monopoles sanctionnés par la loi: Sécurité Sociale, SNCF, ANPE…

Note : jÂ’ai commencé à taper ses lignes avant que ne se déclenche une discussion sur ce même sujet, les commentaires ci-dessous font donc référence à la base à cet article: P’tites bites.

1: à l’époque de la domination de Netscape, les utilisateurs prenaient le temps d’installer Navigator, l’avantage de la pré-installation n’explique donc pas tout

2 : d’ailleurs, bien plus que les « lecteurs multimédias », la vraie compétition réside dans les formats employés : DivX, xvid, mp4, etc… Le vrai enjeu c’est la combinaison d’un lecteur propriétaire avec un format propriétaire, et Microsoft propose actuellement l’un des lecteurs les plus ouverts !