L’Etat omniscient

Il ne se passe pas un mois sans une catastrophe, qu’aussitôt un ministre se propose d’amplifier par un gros chèque pleins de zéros. Comment cela peut-il se produire, alors que l’Etat est censé tout savoir, tout prévoir, et donc tout anticiper ? N’était-ce pas le marché qui avait courte vue et l’Etat qui voyait au-delà du profit immédiat ?
Diantre, on m’aurait menti ?! Cet été, la canicule a tué 14802 personnes en France. Quatorze mille huit cent deux. Avec un rythme annuel de 600 soldats Américains tués en Irak par an, il faudrait juste 24 ans et 1/2 pour égaliser ce total.
Réaction immédiate du ministre en cause: blâmer les autres, en l’occurence les socialistes, responsables des 35 heures. Ensuite dépenser le maximum d’argent non disponible (mais qu’à cela ne tienne, on augmentera les impôts subrepticement), et le refiler aux administrations défaillantes. Vous avez été en dessous de tout, pas grave, voilà de quoi faire pire la prochaine fois.

Tout cela, vous le saviez déjà. Je veux juste mettre l’accent sur un phénomène particulièrement agaçant: l’un des reproches faits aux libéraux, à ces tenants du tout marché, est qu’ils négligeraient le « long terme », tellement obsédés par l’argent (en fait c’est la projection de leurs propres émotions qui fait tenir ce discours aux socialistes) qu’ils en oublieraient de stocker le grain pour l’hiver, ou mieux de garder des semences pour l’an prochain.

Ceci est faux, archi-faux. Les paysans n’ont pas besoin qu’on leur rappelle qu’il faut semer pour récolter, sauf après 70 années de communisme. De même que les entreprises privées mènent des études démographiques (marketing) pour anticiper les changements de mode de consommation de leurs produits, et investissent souvent à long, voire très long terme. Pensez aux médicaments. Pensez aux usines d’avions, ou même de voiture. Quand bien même certains besoins ne seraient pas pris en compte que le jeu du marché permettrait à de nouveaux entrepreneurs de les satisfaire: sur un marché « tendu » avec peu d’offre les prix auraient tendance à monter. Et donc de rendre profitables de nouveaux entrants, ou d’inciter les autres à produire plus.

Dans le même temps, que fait un Etat ? L’Etat fixe les prix sur un marché donné. Les infirmières touchent xx euros à l’acte, un docteur pareil. Faites des heures sups et vous devrez rembourser la Sécurité Sociale. Exit donc l’adaptation de l’offre à la demande avec le personnel actuel. Sauf que former un docteur prend 10 ans. Former une infirmière 5 ans. C’est un peu long quand il y a une canicule.

Cependant, utiliser ainsi le vocable « Etat » cache une réalité toute autre: ce sont des hommes de l’Etat qui prennent des décisions. Quels sont les critères ? On connaît les critères de décision des entreprises privées: une action est-elle profitable, oui ou non. Cela ne se réduit pas à la profitabilité immédiate: l’action est prise dans son ensemble, ce qui est jugé ce sont des projets entiers souvent, voire des orientations de recherche & développement etc.

Pour un politicien, les critères sont différents: il ne recherche pas le profit de l’Etat stricto sensu. Il a un autre objectif, à court terme: il doit se faire réélire. Pour cela il doit prendre des décisions. Les plus visibles, les plus marquantes médiatiquement. Il ne parle pas à l’intellect, à la raison. Il fait appel aux émotions. Dépenser beaucoup d’argent dans un projet qui a déjà montré qu’il a lamentablement échoué dans les plus grandes largeurs, au point de tuer 14.802 personnes, plus que les suicides (12.000 par an), deux fois plus que les accidents de la route (rebaptisés d’ailleurs « violence routière »), voilà une décision marquante.
Médiatiquement elle est saluée comme il se doit: « un grand plan d’urgence pour les urgences ».

Le profit étatique sera dans l’accroissement des budgets, du pouvoir sur les autres, les cochons de payeur. Le profit sera dans la mise en place d’un observatoire de la commission interministérielle d’intermédiation de la coordination du groupe commun de réflexion sur [insérez ici un vrai ou faux problème], dont la présidence sera donnée à un ami d’un ami qui a rendu service une fois. Cet ami donnera lui-même des études à des amis de ses amis, études monnayées quelques milliers d’euros la page pour du copier/coller d’un texte récupéré sur l’Internet. Par exemple.

Où est là-dedans la prévision à long terme ? Ainsi les hommes de l’Etat mettent en place des plans d’urgence successifs, qui seront remplacés plus tard par d’autres plans, dont la seule mesure visible sera une somme de plusieurs milliards d’euros. Un jour pour les universités, demain pour la justice, après demain l’éducation, la santé, l’écologie, l’énergie, les voitures, la pollution, la sécurité alimentaire, les aides à telle profession, la banque, le rhume des foins ou la lubie ou problème réel du jour.

Les hommes de l’Etat sont totalement aveugles car ils n’ont pas ces problèmes de survie que posent le marché, c’est à dire les consommateurs souverains. Ils puisent dans nos poches, et voguent de catastrophe en catastrophe. Ils donnent des leçons tout en s’absolvant de toute responsabilité. Ils sont responsables mais non coupables, selon les mots désormais célèbres de Georgina Dufoix, repris récemment par Alain Juppé. Toutes les critiques dont ils accablent le marché, ils les méritent.

Combien d’années encore cette mascarade va-t-elle durer ? Combien de morts, de vies gâchées, d’opportunités manquées, devra-t-on encore supporter ? L’Etat aveule est-il préférable à un marché imparfait (qui prétendrait que la liberté engendre la perfection ou l’optimalité comme je l’ai lu dans un commentaire idiot ?) ? Attendrez vous d’être en maison de retraite un été un peu chaud pour vous poser la question ? Merci à Zek qui m’a donné un bien involontaire coup de fouet. La lecture de son blog est, ces derniers temps, proprement jubilatoire. Cet article n’est qu’un vague ricochet de l’énergie qu’il insère dans ses articles. Zek, tu CARTONNES!

Une aparté sur le système de prix: les prix sont des transmetteurs d’informations. Oui, ils transmettent une SOMME d’information. Au final on prend des décisions en vertu de ce prix. Produire ou non, par exemple, comme je le soulignais pour les docteurs et infirmières qui ne veulent pas faire d’heures sups. Casser le système de prix c’est se résoudre à avancer à l’aveugle, à ne jamais savoir ce qu’il faut faire, et à empêcher les personnes qui osent entreprendre ce qu’elles ont comme projets.