56 façon de vous ruiner

J’ai trouvé en page 12 (économie) du 20 Minutes du mercredi 12 novembre 2003 un article titré « 56 projets pour remettre l’économie de l’UE sur les rails« , agrémenté bien évidemment d’une photo d’ouvriers au bord d’une voie de chemin de fer. Le message est clair: avec des « grands travaux » la Commission de Bruxelles va « relancer l’économie ». Nous sommes en 2003, et après l’échec monumental du keyneisianisme la décennie passée au Japon, voilà que les commissaires souhaitent remettre ça en Europe. Quelques pensées sur le sujet dans l’article.

Parmi les 56 projets proposés par la Commission de Bruxelles (vive la démocratie!), voilà ceux qui ont retenu l’attention de « 20 Minutes« :

– un pont sur le Rhin près de Strasbourg pour relier les TGVs français et allemands
– un tunnel sous le Mont-Blanc pour créer une ligne ferroviaire Lyon-Turin
– un TGV entre Madrid et Porto
– un tunnel entre l’Autriche et l’Italie
– une autoroute Gdansk et Vienne
– un gazoduc entre l’Algérie et la France via l’Espagne

Moi j’ai fait une autoroute, et toi ?
Comme vous pouvez le constater, que des projets titanesques, de vrais « grands travaux » à mettre sur son CV d’homme de l’Etat. . Moi je vais au travail le matin et je rends service à quelqu’un qui veut me payer. Je ne me pose pas la question de dépenser de l’argent qui ne m’appartient pas.

Nous n’avons pas les mêmes valeurs
Evidemment, avec des idées pareilles la note prévue est salée: 62 milliards d’euros. Hmmm. Voyons voir. Un SMICard mettrait combien de temps à réunir une telle somme. 1000 euros mensuel… Plus de 5 millions d’années. Où ont-ils la tête ces hauts fonctionnaires ? Savent-ils ce que cela représente pour le citoyen lambda ? Pour raisonner à ce niveau là (en milliards d’euros), il faut appartenir à un Etat (tous les Etats « riches »), ou être énarque et diriger un « fleuron de l’industrie française » quand il s’agit de gaspiller (pensez Crédit Lyonnais, SNCF, Alsthom, France Telecom…).

Evidemment, les fonctionnaires se demandent: « comment financer ?« . Et ils ont en partie la réponse: à 60% par le vol (subventions, donc impôts), le reste devant être apporté par le privé. Là le bât blesse: pas facile de convaincre des gens qui sont responsables de leur argent, qui ne jouent pas à savoir qui a le plus gros (projet bien sûr), mais qui cherchent à créer de la valeur.

La commission de Bruxelles cherche à noyer le poisson en parlant d’investissement. Investir c’est se priver d’une ressource à un moment t pour avoir plus en t+x. Cela veut dire que le capitaliste, c’est à dire toute personne avec une épargne, tient compte de l’avenir, fait des projections, prend des risques, fait des arbitrages, etc. Investir c’est l’art de mettre de l’argent de côté pour le retrouver avec intérêts plus tard.

Quand un « capitaliste » ne se lance pas dans un projet, cela veut dire qu’il n’a pas confiance en celui-ci: il pense que le projet loin de créer de la valeur va plutôt en détruire, ou alors qu’il existe une alternative supérieure, plus rentable. Si le privé ne veut pas s’engager sur des grands projets comme ceux présentés par l’UE, c’est parce qu’ils sont trop risqués. Il y a trop de paramètres, trop d’inconnues, bref même si le résultat papier peut sembler magnifique (et à des niveaux divers les projets sont superbes), le fait est que tous ont un potentiel de destruction de valeur. Ils rapporteront moins qu’ils n’auront coûté. Voilà ce que ça veut dire cette réticence attendue du privé. Oui je parle de rentabilité économique, mais si vous m’objectez cela, c’est que vous ne comprenez rien à ce qu’est la valeur et pourquoi quand on décide d’investir, qui est un terme avec un sens précis, on doit juger en fonction de critères économiques. Si la commission décide d’utiliser le verbe « investir » c’est elle-même qui parle de rentabilité, pas moi. Si les supers-fonctionnaires de Bruxelles souhaitent justifier leurs actions par un autre discours, alors qu’ils utilisent le terme adéquat: dépenser, consommer, détruire. Ce sont des termes équivalents.

Au final, si ces projets sont mis en oeuvre, ils détruiront au-delà des 62 milliards prévus: d’abord en retards, en dépassements de coûts (il y en a TOUJOURS sur des projets de cette ampleur), mais aussi dans le fait que des utilisations plus justifiées auraient pu être faites avec ces milliards gaspillés (cf ce que j’expliquais au-dessus). Puisque l’argent dépensé aura soit été pris via les impôts soit vraisemblablement emprunté sur le marché, il manquera ailleurs: d’autres investisseurs ne pourront pas réaliser leurs projets, et la rentabilité pour les investisseurs privés aura été acheté par les subventions aux projets. Ce qu’on voit ce qu’on ne voit pas, comme toujours.

Bien sûr, pour un peu plus embrumer les cervelles d’électeurs de toute façon complètements incultes en matière d’économie, le discours keynésien est de rigueur: c’est une « initiative de croissance« , un « message de confiance dans le potentiel économique de l’Union« . On passe là d’un discours économique, manifestement faux et qui ne trompe même plus les journalistes, à une seconde tentative de justification. Malheureusement, celle-là est encore pire et la démonstration de son absurdité plus accessible encore que l’autre.

Message de confiance à 62 milliards d’euros ? J’écris gratuitement sur ce site web, bon, je l’accorde, ce que j’écris n’est pas en mesure d’envoyer un message de confiance dans le « potentiel de l’Union », mais pour 100.000 euros mensuel je suis prêt à changer radicalement de discours! Je pourrai expliquer par exemple que le potentiel de l’Union est extrêmement fort, pour peu que la commission de Bruxelles soit dissoute, les lois sur la concurrence jetées à la poubelle, les taxes abolies, etc… Bon, aller, je me contenterais même de 10.000 euros mensuel. Même pas le salaire d’un député européen.

Mais alors, si aucune des deux pseudos jusfitications n’est la bonne, pourquoi gaspiller tout cet argent, me direz vous ? Ma foi, c’est assez simple. Dans le cas des 56 projets, il s’agit pour les hommes de l’Etat de trouver une justification à leur existence. Si il y a croissance ils la mettront sur le dos de leurs actions, dans le cas inverse peu importe, il fallait bien faire quelque chose. Il doit aussi y avoir une touche mégalomaniaque dans ces projets: qui sait si l’autoroute ne sera pas renommée autoroute Prodi, ou le gazoduc Pascal Lamy, le pont Michel Barnier…

Peut-être au passage les hommes de l’Etat détourneront 0,000001% du total, ne serait-ce que sous forme d’émoluments pour études, de jetons de présence à des conseils de surveillance, ou simplement en voyages et notes de frais inévitables lors de projets à cette échelle. Notez que je ne parle pas là de détournement sous forme de fausse facture ou autre méthode, mais simplement des moyens légaux d’enrichissement des hommes de l’Etat. Je ne les accuse pas de détourner les lois qu’ils écrivent. Ils n’en ont pas besoin, eux qui raisonnent en milliards d’euros.

Tout cela aura-t-il l’effet escompté ? Ce n’est pas en ajoutant des autoroutes et des ponts que l’économie va aller mieux. C’est en laissant les gens libres d’entreprendre, et éventuellement de s’enrichir quand ils réussissent. Mais cela signifierait abandonner leur pouvoir, celui qui les fait vivre, alors n’y comptez pas trop. L’UE est là, et elle ne fera jamais que grossir.