La Pub Asservit

Dans le métro parisien, à la station Tuilerie, j’ai aperçu un beau matin le profil éthéré d’une jeune-femme blonde. Celle-ci avait les yeux clos comme si elle attendait une surprise. La surprise, évidemment, c’était Noël : « Le Bon Marché. Noël Rive Gauche. Les cadeaux ont une âme ». L’idylle fut hélas de courte durée car un philosophe de trottoir avait ajouté une « bulle » contenant la maxime suivante : « La pub asservit ». Je regardai autour de moi afin de voir si en réaction à cette publicité aguichante des hordes de zombies assoiffés de consommation allaient soudain se précipiter au Bon Marché via l’étroite sortie du métro, afin de s’arracher les articles de Noël, mais en vain.

Peut-être avais-je mal compris le message profond du « casseur de pub ». Sans doute l’asservissement évoqué concernait-il exclusivement le « sujet », c’est-à-dire, la blonde. Sans doute cette pauvre créature était-elle maintenue en position photographique par des chaînes d’airain vendues au rayon bricolage du Bon Marché (3ème étage), attachées à ses frèles poignets. Peut-être que la sublime Noami Campbell dont les courbures parfaites hantent l’arrière de nos autobus parisiens est en fait tenue en laisse par Chantale Thomas, créatrice ès soutiens-gorge, le temps d’une campagne publicitaire. Last but not least, lorsque Claudia Schiffer apparaît souriante sous la neige, la tête engoncée dans une parka esquimaude, sans doute a-t-elle les jambes prises dans la glace afin qu’elle n’échappe pas à ses esclavagistes Gapiens.

Heureusement que les « casseurs de pub » sont là pour détourner nos regards concupiscents des courbes féminines des belles esclaves qui ornent les murs, autobus et métros de nos villes afin de nous inciter à pousser notre caddie dans tel ou tel temple de la consommation. Heureusement, que ces parangons de vertu nous rappellent que la vraie liberté, c’est de pouvoir écrire et dire n’importe quoi en utilisant tous les supports à portée de main, papier à cabinet, emballages de chewing gum, murs de monuments historiques, mais surtout supports payés par les méchantes entreprises capitalistes qui obligent des hordes d’esclaves à fabriquer des soutiens-gorge, chaussures de sport ou autres objets de consommation de masse. Heureusement, que les journalistes des médias français sont là pour relayer les exploits dignes de Spartacus de ces gladiateurs des bas-fonds parisiens. Heureusement…