Encore la redistribution

Nouvel extrait de mon blog, qui fait suite à celui dernièrement publié ici.

Vraiment, la politique n’a rien à voir avec la redistribution. La redistribution n’est qu’un paravent pseudo-moral pour justifier le pouvoir politique; ce n’est que la couverture d’un jeu de dupe. La nature réelle de la politique, c’est d’écraser les uns pour leur imposer la volonté des autres.
Ainsi, la redistribution, dès lors qu’elle est imposée plutôt que volontaire, est un acte d’agression, de domination des uns par les autres — elle est spoliation. De ce fait, elle détruit immanquablement des richesses, et laisse sur le long-terme tout le monde plus pauvre, sauf une classe de parasites professionnels.

Au coeur des sophismes social-démocrates sur la redistribution, il y a une négation de la nature subjective de la richesse — un des principes fondamentaux de la nature humaine. C’est parce que toute richesse est subjective que l’échange libre créé des richesses, chaque échangiste troquant ce qui lui vaut moins contre ce qui lui vaut plus — parce que la spécialité de chacun lui permet de faire relativement plus facilement de ce qu’il offre que de ce qu’il demande, tandis que ses préférences marginales sont relativement davantage dans ce qu’il demande que dans ce qu’il offre. C’est par le même principe que toute intervention coercitive ne peut que heurter les préférences des uns et des autres, en les empêchant de faire ce qu’ils préfèreraient, et en les forçant à faire ce qu’ils trouveraient moins bien — détruisant ainsi des richesses à hauteur du coût (subjectif) d’opportunité entre les deux options. Mais de tels raisonnement économiques sont hors de portée des étatistes, que leur pensée statique confine aux sophismes comptables.

Or, appliquant le raisonnement économique, on voit que la redistribution va ipso facto modifier les préférences relatives au bénéfice des signes donnant droit à la redistribution, au détriment des signes désignant les victimes de la redistribution. Ainsi, la redistribution va désinciter aux activités taxées et réglementées à mesure des confiscations et rétorsions auxquelles sont attachées de telles activités (que ces activités soient par ailleurs notées comme « production » ou « consommation », comme « légales » ou « illégales », etc., dans les calculs comptables des étatistes). La redistribution va aussi inciter à se livrer à des activités subventionnées, à mesure des subventions, combien même lesdites activités sont en fait inutiles voire nuisibles. Plus la redistribution est « efficace » du point de vue politique, plus les préférences des uns et des autres auront été heurtées et leur action déplacée, plus cette redistribution aura été destructrice du point de vue économique.

Au bilan, chaque centime de redistribution forcée crée une désincitation au travail pour ceux qui sont assurés qu’ils seront ou victimes ou bénéficiaires de redistribution, et une incitation au lobbying, à la manipulation politique et administrative pour ceux qui ne sont pas assurés d’être dans l’une ou l’autre catégorie au regard d’une des règles établies ou à (ré)établir (et aux limites extrêmes, les moyens pour échapper à l’esclavage sont la fuite, la clandestinité, le suicide, la révolte, cependant que les moyens d’y contraindre sont la torture, la mutilation, le meurtre, toutes mesures de rétorsion envers des proches, etc.). A ce jeu, à chaque centime redistribué (calcul comptable) correspondra un centime globalement détruit pour la société (calcul économique). [En fait, un peu moins, car des lobbyistes efficaces n’investiront dans le lobbying que tant que l’activité est plus rentable que d’investir dans une autre activité; un modèle numérique, pour le peu qu’il peut valoir, devra donc déduire de la destruction économique cette marge de rentabilité.]

Certains « Ã©conomistes », à proprement parler des économétristes, affirment que cette dé-création n’a pas lieu car le déplacement des choix ne modifierait pas la somme « objective » des richesses. Sous-jacent à ce sophisme est une position matérialiste simpliste qui néglige la nature subjective de la richesse, et qui considère la richesse comme une donnée scalaire sur une échelle commune à tous les individus — ultimement, la position de tous les économétristes, et en fait le principe même du totalitarisme. La seule différence entre l’économétriste et le totalitaire est que l’économétriste fera la confusion pseudo-scientifique de la richesse avec l’argent ou telle autre grandeur de référence (par exemple, le « pouvoir d’achat » mesuré par rapport à tel comportement « standard » de consommation), alors que le totalitaire s’en remet aux préférences des chefs sans prétension de discussion scientifique.

D’autres, des légistes, prétendent qu’il n’y a pas désincitation dès lors que la redistribution se fait par des règles claires et bien définies. Ils commettent le sophisme remarquable de croire que les décrets qu’ils commentent, approuvent, recommandent ou émettent ont une nature supérieure, loin au-dessus de la masse humaine qui obéit. Ils se croient des démiurges qui modifient les lois de la nature humaine. Mais leurs décrets ne sont pas absolus. L’incitation sera à échapper à l’application des lois, à agir d’autant plus fortement dans le sens d’un amendement, d’une promulgation, d’une annulation ou d’une non-application des lois qu’un tel changement offrira un espoir d’amélioration ou une crainte d’empirement de son sort. Les légistes pensent agir directement sur la nature humaine, ils croient créer un homme nouveau plus avancé. Ils ne font que contrarier la nature humaine, et réduire l’homme à un état arriéré de servitude et de barbarie. Plutôt que de prétendre réformer l’humanité, que ne commencent-ils par se réformer eux-mêmes!

Bienvenue!

Aux lecteurs de Merde In France qui ont suivi le lien!

et merci à Bill aussi d’avoir publié (ici) une liste de sites libéraux français. Y a du talent dans cette liste, énormément, et surtout, il y a de l’espoir!

Le mythe de la redistribution

Voici un petit article extrait de mon blog

Messieurs les étatistes, vous utilisez la redistribution pour justifier la gestion politique de divers « biens publics ». Voilà bien une imposture intellectuelle de plus! Si c’est vraiment la redistribution que vous voulez, ma foi, faites vraiment de la redistribution: expliquez qui sont les créditeurs méritants à doter, et les débiteurs déméritants à dépouiller, selon quels critères, puis redistribuez. Il y aura à la fin de chaque période (mois ou année) un impôt unique indiquant qui a perdu ou gagné quoi par ce système de redistribution. Ainsi, vous aurez joué carte sur table, chacun saura qui gagne ou perd quoi et pourquoi, et la redistribution politique pourra être véritablement et ouvertement discutée. (Du reste, cette idée n’est pas nouvelle; lire ce sophisme économique de Bastiat).

Mais la redistribution n’est pas le véritable objet de la gestion politique. Non, l’objet véritable de toute chose politique est tout simplement le pouvoir d’imposer aux uns les préférences des autres. De priver les uns de leur liberté, les autres de leur responsabilité. La redistribution n’est qu’un prétexte qui permet, en truquant les comptes et en laissant le solde dans le flou, de faire croire à chacun qu’il est gagnant dans un gigantesque jeu de dupe.

Vous voulez aider les pauvres? Donnez-leur de l’argent, des biens, des droits de propriété, etc., mais incluez-y la liberté d’utiliser ces dons à leur gré, y compris de les transférer à autrui, de les échanger. Vous verrez bien alors ce qu’ils en feront, et quelles préférences ils démontreront ce faisant.

Vous n’êtes pas contents de ce qu’ils en font, ou même de ce que vous craignez qu’ils en fasse? Vous voulez leur imposer d’utiliser vos « dons » d’une façon qui vous plaît davantage, et leur paraît défavorable? C’est donc bien que vous voulez leur imposer votre opinion! Avouez donc qu’en fin de compte, votre but est bel et bien d’imposer votre volonté aux autres, de les contraindre à vivre selon vos goûts et vos préférences. Vous vous sentez supérieurs et les méprisez, ces autres êtres humains, vos semblables. Donner? Personne ne vous empêche, vous, de donner! Mais non, vous voulez que A donne de force à B et que B soit contraint d’utiliser ce don de telle façon et pas d’une autre. C’est donc et A et B que vous imposez, que vous méprisez, que vous spoliez, que vous considérez comme les objets malléables de vos désirs, comme vos esclaves.

Messieurs les étatistes, vous aimez vous croire de grandes âmes; vous n’êtes que d’immondes esclavagistes!

Atomisation sociale

LÂ’’éditorial du Figaro du 25 août (« La barbarie française » par Renaud Girard) pose parfaitement le problème de société qui a engendré non seulement une surmortalité des personnes âgées lors de la canicule de cet été mais aussi lÂ’abandon de ces vieux, apparemment sans famille et sans amis, morts dÂ’un manque dÂ’’affection et dÂ’’amour. Mais pourquoi les Français sont-ils « devenus des barbares » ? L’’éditorialiste reste à la surface des choses.

Nous mesurons petit à petit lÂ’’effet d’Â’atomisation de la société due à la dichotomie individu/Etat propre à notre structure politique jacobine, hyper-centralisée, qui défausse les individus de leur responsabilité au profit dÂ’une solidarité obligatoire, financée par un Etat essoufflé et endetté, qui donne une bonne conscience hypocrite aux citoyens payeurs dÂ’impôts tout en leur permettant de vaquer à leurs loisirs, eux aussi largement pris en charge par « un Etat culturel » qui se prend pour un tour-opérateur.

« LÂ’’Etat-papa » (le Figaro) ne change pas la nature humaine, il met simplement en sommeil les dispositions de chaque individu à avoir besoin les uns des autres, en les cantonnant dans des rapports impersonnels, strictement économiques et politiques. LÂ’Etat « solidaire » est donc censé rendre tous les services qui peuvent alléger le fardeau de la vie et des circonstances liées au risque (les intempéries, la maladie, les accidents de toutes sortes).

Mais que reste-t-il alors entre l’Etat et l’individu ? Un désert. Et c’est ce désert plutôt que la canicule qui a tué les personnes seules et désarmées. Car mourir à 90 ans n’est pas un scandale en soi mais mourir délaissé par les hommes et par ce monstre froid qu’est l’Etat, devenu gestionnaire de la pénurie de moyens et de services à force de tout engloutir, à force de se vouloir omnipotent, là est le scandale moral.

Rétrécissons l’Etat et nous verrons apparaître une solidarité naturelle car nécessaire, des services de soin plus performants parce que plus nombreux et de meilleure qualité dans une société de marché où l’offre et la demande finissent toujours par se rencontrer de manière optimale.

Supprimons l’Etat-papa et les vertus de responsabilité, de charité et de souci de l’autre renaîtront.

Le problème existentiel de l’individu vieillissant, enfermé dans une solitude sans amour a été admirablement décrit par Romain Gary dans La vie devant soi. Monsieur Hamil a 85 ans et Momo en a 6.

– Monsieur Hamil, est-ce quÂ’on peut vivre sans amour ?
– Oui, dit-il, et il baissa la tête comme sÂ’il avait honte

LÂ’Etat ne pourra jamais vendre de lÂ’amour, de la vraie solidarité, de lÂ’amitié, de vrais liens sociaux. Tout ce discours sur la citoyenneté/solidarité, le lien social, cÂ’est de la blague électoraliste. Si la société pouvait respirer chacun trouverait sans doute, dans sa liberté retrouvée, le besoin, lÂ’envie de connaître son voisin, de sÂ’occuper de ses vieux et lÂ’individu ne se laisserait pas vieillir sans avoir tissé autour de lui un grand réseau de liens affectifs. Car ne lÂ’oublions pas, les vieux dÂ’aujourdÂ’hui sont les jeunes dÂ’hier, qui, comme ceux dÂ’aujourdÂ’hui, ont creusé, avec l’aide bienveillante de l’Etat solidaire, leur propre tombe de misère affective et de solitude.

j’en peux plus

En raison d’un trop grand nombre de problèmes de modération et pour préserver l’équilibre nerveux des modérateurs présents, nous avons décidé de fermer temporairement ce forum.

La propriété privée, quelle galère: on est obligé de faire le ménage! Ah quel casse-tête… gérer ainsi son propre espace, de façon autonome et responsable, vous imaginez ça ?

Mais non, c’est pas la Page Libérale qui ferme. C’est le forum de Lutte Ouvrière. (hé ouais, j’étais inscrit, je suis une taupe de Moscou!)

Curieuse déformation de la réalité

Quel titre étonnant pour un article sur tf1.fr: Après un raid d’Israël, le Hamas rompt la trêve. J’ai entendu la même chose sur i-télévision (groupe canal+), sur France 2 et 3 (chaînes officielles), et sur LCI (filiale de TF1…). Le Monde avait un titre à peu près équivalent…

Revenons à la réalité: 20 personnes sont mortes dans un attentat mardi, et Israël a tué l’un des chefs du mouvement criminel Hamas, qui revendique l’attentat.

Mais selon les médias français, c’est Israël qui provoque la rupture de la trêve. Peu importe que le Hamas revendique l’attentat. C’est toujours la faute à Israël.

Il n’y a aucune leçon « libérale » à tirer de cela, si ce n’est que nous avons une nouvelle fois la preuve de la qualité de nos médias. Maintenant, chers amis français, posez vous la question suivante: se pourrait-il qu’ils mentent avec le même aplomb sur l’Irak ? Se pourrait-il qu’ils mentent aussi sur d’autres sujets ? Vous avez confiance dans des médias qui tordent aussi intensément la réalité pour la faire coller avec leurs propres préjugés ?

Trou d’air récurrent

Avant de livrer à mon amie Claire le livre de Charles Gave, j’en ai feuilleuté les premières pages (elle me pardonnera).
Il explique, ou plutôt, il constate que pendant que l’économie US telle que mesurée par le PIB est en croissance, et que cette croissance s’accélère sur les 20 dernières années, la France suit le chemin inverse.

C’est d’ailleurs ce que nous disent les dernières statistiques: Chute du PIB français au deuxième trimestre, titre Le Monde.

A ne surtout pas faire pour des journalistes français trop contents de parler du dernier mort Américain en Irak (et de décompter les milliers en France dûs à un simple coup de chaud…): mettre en parallèle la croissance US depuis avril 2001 (crise aux USA, éclatement bulle Internet) et la croissance française depuis la même époque. Allez, si ce soir je suis en forme je cherche les chiffres et je fais un petit graphique grâce à l’outil des monopolistes infâmes.

Ah, pour les éternels naïfs: ne comptez pas sur les « baisses d’impôts ».

Plan blanc

PARIS, 16 août (AFP) –
Le « plan blanc » prévoit notamment de différer les interventions non urgentes pour laisser des lits vacants dans les structures hospitalières, et éventuellement de rappeler des personnels en congé.
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Voilà ce qu’on appelle une gestion soviétique: organisation de la pénurie et travail obligatoire. C’est comme pour les biens de consommations en ex-URSS. Même cause, mêmes effets. Combien de temps mettrons-nous pour comprendre? A quand la chute du mur socialiste en France??

Hécatombe capitaliste

Après avoir soigneusement camouflé l’affaire, le gouvernement Raffarin a avoué: la canicule a fait 3000 morts au moins.

Sur ce point j’ai plusieurs remarques à faire:
Pourquoi le pouvoir politique est concerné ? Il maîtrise le climat ? C’est de la faute à Raffarien s’il y a une vague de chaleur comme il y en a parfois ?
Raffarien prétend que c’est la faute… aux 35heures qui limitent le personnel dans les hôpitaux etc!
On est dans le délire le plus total. Tout le monde se mettra d’accord pour blâmer les USA à la fin, ces vils pollueurs responsables du réchauffement.

Mon impression sur cette hécatombe ? On dirait un décompte après une catastrophe dans le Tiers Monde.

Update:
Eric ABC. me fait remarquer que cela souligne aussi l’état du «meilleur système de santé au monde ». Indeed.

Henri LEPAGE (I)

J’ai la chance de pouvoir régulièrement rencontrer Henri Lepage à Strasbourg. C’est toujours un grand plaisir intellectuel. Vous vous souvenez tous de son livre « demain le capitalisme » qui a fait le tour du monde, que nous avons tous lu et qui a révélé l’existence des « libertarians », des Rothbard, Hayek, Buchanan, Friedman…La première partie de cet entretien porte sur le genèse de son oeuvre et sur son actualité.

Henri Lepage – Marc Grunert
Interview réalisée en juin 2003
PREMIERE PARTIE : GENESE

Marc Grunert : Henri Lepage, cet entretien porte sur vos deux ouvrages, Demain le capitalisme et Demain le libéralisme et leurs prolongements. Ces deux ouvrages, vous les avez publiés il y a 25 ans, le premier du moins. Ce premier ouvrage est une référence pour les libéraux et pour les libertariens. Dans ce livre vous avez réuni en un tout très cohérent divers travaux des économistes et philosophes libéraux américains dont le but était de démontrer la supériorité du marché libre à la fois sur le plan économique et sur le plan éthique. Nous pensons au « Québécois libre » que ces deux livres sont toujours d’actualité. Alors ma première question est la suivante : dans quelle mesure peut-on dire que le capitalisme est encore pour demain ?

Henri Lepage : D’abord je voudrais dire que mon livre n’est pas fondateur, je n’ai pas inventé quoi que ce soit. Ce que j’ai fait à l’époque c’était un reportage pour mettre les gens au courant du fait que le libéralisme était une doctrine intellectuelle en plein renouvellement. Et cela sur des bases scientifiques ; c’était ça l’aspect nouveau.

Je me rappelle quand j’ai fait ça à mes débuts, c’était en 76, le mot « libéralisme » était honteux. Aujourd’hui, afin de le rendre honteux on parle d’ « ultra-libéralisme » mais à l’époque le seul fait de dire « libéralisme » ça faisait vieillot, ça faisait poussiéreux, ça faisait une doctrine du passé et je me rappelle qu’à cette époque Giscard d’Estaing voulait inventer un nouveau concept, un nouveau mot, pour remplacer « libéralisme ». Alors ça a été « pluralisme ». Et moi ce que je voulais à l’époque c’était de rendre aux mots leur sens.

Donc ce que j’ai fait c’était un reportage d’idées pour montrer que le libéralisme était une doctrine d’actualité utilisant les recherches scientifiques modernes, des raisonnements scientifiques, et que ce n’était pas seulement de l’idéologie pure comme on le pensait.

Le livre se voulait un livre de vulgarisation intermédiaire. Ni un livre purement journalistique ni un ouvrage universitaire, mais un ouvrage qui se situe entre les deux niveaux et qui s’adressait à des « prescripteurs d’opinion » c’est-à-dire en fait à des journalistes.

MG : Et dans ce livre en fait, vous avez été un des premiers à montrer comment déconstruire le mythe de l’Etat grâce à des instruments d’analyse que vous êtes allé chercher aux Etat-Unis. Alors que cette mythologie de l’Etat règne en France sans partage.

HL : Je nÂ’ai pas démoli la mythologie et je n’étais pas le seul à l’époque. Il y a dÂ’autres livres qui ont été publiés par Rosa, Aftalion… ; ils revenaient des Etats-Unis, ils avaient découvert les enseignements de Chicago et eux aussi ont fait leur part, mais seulement c’était des ouvrages universitaires. Moi jÂ’ai fait un ouvrage de semi-vulgarisationÂ…

MG : Vous avez fait une sorte de synthèse cohérente de tout ce qui se faisait pour finir par une conclusion qui, quand même, était à la fois prophétique et une espérance.

HL : Non, elle ne se voulait pas prophétique. C’est là où il y a un malentendu, le titre « demain le capitalisme » ne signifiait pas une prévision sur l’avenir. C’était beaucoup plus une interpellation parce que le titre original, « quand le capitalisme renaîtra », indiquait l’idée d’une renaissance d’une pensée libérale. C’était ça le thème.

Je voulais montrer comment la pensée libérale était en train de renaître, d’évoluer d’une manière scientifique, et de démontrer en quelque sorte qu’on pouvait donner un sous bassement scientifique à une idéologie, à une conception du monde, qui jusque là était essentiellement de nature politique.

Je voulais démontrer comment les travaux en cours dans les universités américaines donnaient un substrat scientifique, une rationalité à ces idées politiques libérales.

MG : Vous avez exploité les travaux de Rothbard par exemple sur l’histoire du capitalisme…

HL : Non, attendez, c’était d’abord une synthèse qui rassemblait des travaux nouveaux. Il faut d’abord que je vous raconte comment je suis arrivé à ça.

J’étais journaliste à l’époque dans un journal qui défendait la libre entreprise sans se prétendre « libéral ». Et il y eut l’échéance électorale de 1978 dont il faut se rappeler l’enjeu. Tout le monde croyait à la victoire des socialistes. Et le thème des socialistes c’était l’autogestion. Et moi j’étais en relation avec des entrepreneurs qui étaient très inquiets. Pour la première fois ceux-ci ont commencé à se mobiliser face à cet enjeu. Il y avait un enjeu politique et intellectuel, ils commençaient à se poser des questions. Et notamment la première question était : comment réfuter tout ce qui se disait sur l’autogestion. C’était ça la grande question pour les entrepreneurs dans les années 74,75,76. Et ça m’énervait tellement de voir comment ils s’y prenaient ; ils réfutaient en enfilant des mots et des idées toutes faites, mais il n’y avait pas de pensée conceptuelle derrière, pas de réflexion construite, pas de démonstration !

Et, à ce moment-là, moi je me suis rappelé que j’avais dans mes archives un bouquin qui était une analyse économique de l’autogestion, et à cause de cette actualité, je l’ai lu. Et tout a commencé alors par un premier travail que j’ai fait pour une critique rationnelle et scientifique de l’autogestion. Ce qui aboutissait à développer des raisons pour lesquelles une économie libre est supérieure à une économie autogérée.

C’est en lisant ce bouquin que j’ai découvert des travaux que je ne connaissais pas et l’auteur se référait à des articles de magazines américains que j’avais dans mes archives depuis dix ans mais que je n’avais lus. Comme j’étais quasiment en année sabbatique j’ai pu passer mon temps à lire tous ces papiers. Et c’est en lisant ces papiers-là que j’ai découvert qu’il y avait une démonstration scientifique, une argumentation scientifique, en faveur de la supériorité des idées libérales. C’est à ce moment-là que j’ai découvert l’école de Chicago.

Vous parliez de Rothbard, non ! d’abord je découvre l’école de Chicago, l’école des droits de propriété, et donc une structure analytique ferme, précise, pour analyser le fonctionnement des institutions d’un point de vue critique, comparer leur efficacité relative etc. Moi j’ai fait mon travail sur l’autogestion dans cette optique-là, ensuite j’ai tiré sur la ficelle, et, ce faisant, j’ai été immédiatement amené à étudier les travaux du Public Choice, c’est-à-dire l’application de la théorie des droits de propriété au monde de la production publique, de la politique et finalement à la critique de l’Etat. Buchanan, Tullock…Tout cela était totalement inconnu en France.

MG : d’où l’appellation des « nouveaux économistes »

HL : Oui, alors vous voyez le fil, on ne parle pas de Rothbard, ni de Hayek. Mais à partir de là – et je reviens à mon combat personnel- il m’a semblé que si on voulait vraiment défendre la société libérale, il fallait défendre le capitalisme, il fallait démontrer comment ça fonctionne, et pour cela donner les instruments.

MG : pouvez-vous nous rappeler la méthodologie de la théorie des choix publics ?

HL : La méthodologie principale c’est de dire que si le marché est imparfait, si la production par le marché est imparfaite, l’Etat a, lui aussi ses imperfections. Autrement dit, les socialistes ont une démarche, ils regardent ce qui ne fonctionnent pas dans le marché, et ils vont en déduire qu’il faut que l’Etat intervienne. Mais ce n’est pas parce que l’Etat intervient que tout sera parfait car il y a aussi des défaillances dans la production des biens publics. Alors ces défaillances, vous en trouvez l’analyse chez Buchanan et Tullock, asymétrie de l’information, asymétrie des votes, la théorie des groupes de pression etc., tout cela permet de montrer que la démocratie n’est pas la moyenne de l’ensemble des opinions, qu’elle est largement utilisée par des lobby particuliers et que ceux qui vont bénéficier de la démocratie ce sont certains groupes particuliers. Tout le monde n’est pas en mesure de s’organiser, il y a des groupes pour lesquels le coût d’organisation est élevé et d’autres pour lesquels il est plus faible. Un groupe de consommateurs est difficile à organiser. En revanche un petit groupe de producteurs qui veulent une législation qui les protège en réduisant la concurrence peut plus facilement s’organiser. L’Etat est ainsi capturé par les groupes d’intérêts particuliers et notamment les groupes industriels qui utilisent l’Etat pour obtenir des réglementations qui vont les favoriser au détriment de leurs concurrents mais aussi à celui de l’ensemble des consommateurs qui vont payer plus cher.

MG : c’est l’application du raisonnement économique aux choix publics et politiques, particulièrement dans le contexte de la démocratie.

HL : C’est l’analyse économique de la démocratie. Donc vous voyez la logique, tous mes chapitres qui s’égrènent. Là on est dans le cadre de l’école de Chicago. Toutes ces théories n’ont de sens que parce qu’elles donnent des instruments qui permettent des vérifications empiriques. Ce qui est intéressant et que personne ne connaissait c’est la possibilité de la critique empirique des réglementations.

En France il y avait un débat sur les nationalisations. Là encore j’étais dans un milieu de chefs d’entreprises qui se battaient contre les nationalisations mais qui n’avaient pas d’arguments. Le message que j’ai essayé de faire passer c’est que l’analyse économique pouvait leur permettre de mettre au point un argumentaire convaincant, qu’elle était un outil pour entrer dans le débat, pour mener un combat convaincant. L’analyse économique a apporté deux éléments. Un élément théorique, un cadre pour une analyse rigoureuse, et un ensemble de travaux empiriques.

Les travaux qui existaient à l’époque c’était des analyses coûts-bénéfices des réglementations, par exemple celles des transports aériens. Tout ça vous le trouvez dans Demain le capitalisme. L’exemple suivant m’avait beaucoup impressionné. Aux Etats-Unis, il y avait une grande compagnie qui n’était pas réglementée parce que seul le trafic inter-Etats était réglementé. Le Texas et la Californie sont deux Etats suffisamment grands pour avoir une compagnie aérienne dont les lignes demeuraient à l’intérieur de l’Etat, et qui n’était donc pas réglementée. En comparant la structure des bilans des grandes compagnies aériennes qui sillonnaient les Etats-Unis et le bilan des compagnies locales on était en mesure de voir quelles étaient les plus rentables. Et vous aviez des tas d’analyses de ce type-là.

MG : Vous vous appuyez sur une analyse scientifique de l’économie et du système politique et pourtant quand on lit certaines critiques de votre livre on a nettement l’impression que votre ouvrage est considéré comme « idéologique ».

HL : Les choses ne sont pas aussi simples que ça ! Je démontre qu’il y a des outils scientifiques qui permettent une analyse au-delà de simples clichés. A ce moment-là vous êtes entraîné dans un débat : qu’est-ce qui est scientifique ? A partir de là j’ai été obligé de compléter mon analyse par une compréhension des problèmes épistémologiques. Il y a eu, lors de la parution de Demain le capitalisme, toute une partie du débat consacrée à ces problèmes. Par exemple, pourquoi le modèle de l’homo economicus est un meilleur outil d’analyse que celui de l’homo politicus .

C’est après la rédaction du livre que j’ai été obligé de rentrer dans ce débat épistémologique. Et ça a donné la matière à une partie de mon livre suivant, Demain le libéralisme. Et c’est notamment cela qui m’a amené à Hayek.

Il y a un fil logique et conducteur. Demain le capitalisme, c’est l’économie de Chicago. Et l’une des originalités du livre c’est que j’ai voulu rencontrer les gens que je citais.

Par ailleurs vous m’aviez parlé de Rothbard et des « Autrichiens » tout à l’heure, alors effectivement Rothbard et les libertariens sont dans le premier livre. Parce que eux aussi utilisent tous ces instruments qui sortent à l’époque et, bien que d’une école de pensée différente, ça me donnait l’image de quelque chose de bourgeonnant. J’ai voulu rendre compte de tous ces bourgeonnements.

Par ailleurs, quand on fait un livre on anticipe les critiques. Par exemple il était évident qu’on allait m’envoyer dans les gencives la crise de 29. Et donc je me devais de donner l’explication monétariste de Friedman. A l’époque (les années 70) il y avait tout un tas d’analyses, d’arguments de type libertarien qui sortaient et je voulais en rendre compte en les recoupant, en leur donnant une cohérence d’ensemble.

MG : En tout cas le mérite de ce livre, qui remonte maintenant à 25 ans, c’est qu’il a introduit en France, pour un assez large public, des idées qui étaient complètement inconnues.

HL : L’avantage de ce livre c’est effectivement qu’il a révélé quelque chose que personne ne connaissait, autrement dit il a découvert. Il n’a pas découvert une théorie mais un champ d’analyses, des auteurs, un courant de pensée. C’est-à-dire l’école de Chicago et les libertariens ! Parce que, les libertariens, c’est quand même une sacrée découverte !

MG : Alors justement à propos du terme « libertarien », c’est vous qui en avez introduit l’usage en France.

HL : Non, je n’ai rien introduit du tout, le problème est que aux Etats-Unis libertarian est un mot qui existe et les Rothbard, Friedman etc. se définissent comme libertariens, ils ne disent pas « libéraux ». Parce que là-bas « liberal » désigne les sociaux démocrates, le terme est utilisé par la gauche pour se définir. Alors lorsque j’ai écrit mon livre j’avais un problème. Comme traduire le terme. Je me suis posé la question pas mal de temps et finalement j’ai choisi d’utiliser le néologisme de « libertarien ». On m’a critiqué mais j’ai passé outre. J’ai répondu à mes critiques : je m’en fous, les mots disent ce qu’on met dedans.

MG : Et puis ce terme « libertarien » a fait son chemin, et finalement on fait maintenant, en France, la distinction entre les libéraux et les libertariens. Est-ce que vous faites aussi cette distinction ?

HL : Oui, bien sûr ! Parce que…

MG : Comment pourrait-on définir un libertarien par rapport à un libéral classique, en France ?

HL : Eh bien un libertarien va au bout de la logique de sa pensée et de son instrument de pensée. Il ne s’arrête pas en route.

MG : Vous voulez dire, en fait, que le libéral s’accroche à une sorte d’Etat minimal que les libertariens refusent d’accepter…

HL : La façon dont le problème se posait à l’époque, la façon dont je l’ai senti, c’est qu’en réalité, beaucoup de gens qui se disent libéraux, notamment tous ceux qui défendent la libre entreprise, les néo-classiques, sont en réalité des conservateurs. C’est en lisant les libertariens que vous comprenez maintenant ce qu’est un vrai conservateur. Et qu’est ce que c’est qu’un libéral-conservateur ? C’est quelqu’un qui considère que les libertés économiques c’est vraiment fondamental, qu’il faut dépolitiser le domaine de l’échange économique, sortir l’Etat du monde de l’échange économique, mais qui considère que l’Etat est utile pour imposer les valeurs. C’est ça un conservateur. C’est-à-dire qu’en fait entre un conservateur et un socialiste il y a quand même beaucoup d’affinités.

MG : Tout à fait !

HL : Ils disent la même chose, ils disent : l’Etat est utile. Simplement la frontière de l’intervention de l’Etat, ils ne la mettent pas à la même place. Les socialistes vont très très loin.

MG : Qu’est-ce que vous pensez de ce qu’on pourrait appeler les « minarchistes » comme on dit au Québec, c’est-à-dire ceux qui reconnaissent la légitimité d’un Etat minimum centré sur les services de police, de justice et de défense nationale ?

HL : La première distinction à comprendre quand on essaie de se placer sur un échiquier, c’est qu’il y a des libéraux timides qui sont en fait des conservateurs, des gens qui considèrent que l’Etat a un rôle fondamental à jouer qui est de faire respecter un certain nombre de valeurs que eux considèrent comme fondamentales. C’est ce que j’appellerais le libéralisme politique traditionnel. Et puis vous avez les libertariens, qui sont plus cohérents, et qui disent que toutes les interventions étatiques causent des phénomènes pervers. Et donc il n’y a pas plus de raison d’accepter que l’Etat ait une politique de la culture ou de la santé (campagnes et lois anti-tabac) qu’il n’y en a pour ses interventions dans le domaine économique.

Maintenant, au sein des libertariens, vous avez là encore des distinctions. Vous avez les minarchistes et les anarchistes. L’un des objectifs de mon livre était aussi de montrer l’existence de toutes ces nuances.

MG : C’est effectivement un des mérites du livre que d’avoir montrer la richesse du mouvement libéral dont vous dites d’ailleurs aujourd’hui qu’il n’a pas atteint son but, et que finalement tout est à recommencer. Faut-il récrire Demain le capitalisme, avec quelques chapitres supplémentaires ?

HL : Il n’y a pas grand-chose à retoucher. C’est un livre qui donne les bases, des outils d’analyse. Mais il y a un ou deux chapitres qui ne vont plus. Les deux livres se référaient à l’actualité politique du moment. Une des thèses que je développais, et qui est toujours valable aujourd’hui, c’était que le marché réalise les objectifs de l’autogestion mieux que lui. Ça n’est plus d’actualité, parce que plus personne ne parle d’autogestion. Mais les mêmes arguments vous pouvez les utiliser à l’égard des écologistes.

Les études empiriques sont anciennes, pour faire quelque chose de crédible aujourd’hui il faudrait s’appuyer sur des études plus récentes. De ce point de vue le livre aurait besoin d’être modernisé. Mais cela suppose une somme de lecture phénoménale.